Les Abeilles de Spengler : De Gaulle, penseur tragique de la civilisation
L'édito de Michel Onfray
« Il est étrange de vivre consciemment la fin d’une civilisation. » André Malraux, Les Chênes qu’on abat…
Quand Malraux fait parler de Gaulle dans Les Chênes qu’on abat…, on ne sait plus si les propos sont fidèlement rapportés, fidèlement inventés, fidèlement extrapolés, fidèlement mensongers ou fidèlement imaginés. Sur Tintin, seul rival international du général, sur le chat qui ferait semblant de méditer selon le vieux Président, sur telle ou telle phrase prétendument dite à de Gaulle par Staline, ou sur toute autre didascalie du même acabit, on n’est sûr de rien, sinon qu’elles sont taillées par le romancier pour le marbre de la légende.
En revanche, on sait que ce jeudi 11 décembre 1969, date à laquelle a lieu le fameux rendez-vous de Colombey dont surgit ce livre proprement sublime, il n’y a pas de neige devant laquelle le général, courbé, figurerait pour l’éternité. De même, sur le seuil de la maison où le vieil homme le raccompagne, ils ne sauraient regarder les étoiles car la scène a lieu en plein milieu de l’après-midi afin que l’auteur de La Condition humaine ne manque pas son train pour Paris. À cette heure, pas de voie lactée en décor admirable à ce théâtre des grands hommes.
Dans les pages de ce livre, le vraisemblable devient vrai, le possible réel, le virtuel tangible, le poétique rationnel, le rationnel poétique, mais aussi le vrai, faux et le faux, vrai. Ce qui importe est moins que ce qui fut dit ait été vraiment dit mais qu’il ait pu l’être sans que le réel vrai eût à s’en offusquer.
Un exemple : Malraux embarque Yvonne de Gaulle dans une leçon de philosophie politique gaullienne sinon gaulliste. Il écrit : « Un apiculteur, dit Mme de Gaulle, affirme qu’en mai, dans toute la France les abeilles étaient enragées aussi » –...