Allemagne nazie et planification économique : halte aux idées reçues (partie 3)
ENTRETIEN. Et si démondialisation rimait avec planification ? C’est l’hypothèse de travail de Jacques Sapir dans Le grand retour de la planification ? (éd. Jean-Cyrille Godefroy). Dans cette troisième partie de cet entretien, l'économiste revient sur le cas de l'Allemagne nazie, souvent associée (à tort) à la notion.
1ère partie de l'entretien
2ème partie de l'entretien
4ème partie de l'entretien
5ème partie de l'entretien
6ème partie de l'entretien
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FP : On a également tendance à considérer que l’Allemagne nazie possédait une économie planifiée, sans doute par association plus ou moins inconsciente entre planification et verticalité du pouvoir. Pourtant, vous avez l’air de considérer qu’il s’agit d’un trompe-l’œil… ?
JS : Tout d’abord il convient de rappeler un fait. Historiquement, la planification s’est accommodée de systèmes pleinement démocratiques (en France et en Inde notamment après 1945) comme de systèmes peu démocratiques voire autoritaires (Japon et Corée du Sud notamment). En revanche, des systèmes ouvertement tyranniques, comme l'Allemagne hitlérienne ou l’Italie mussolinienne – qui pourtant pratiqua un interventionnisme économique de l’État important [1] –, restèrent ouvertement opposées à la notion de planification.
Effectivement, on peut parler d’un non-lieu de la planification dans le régime nazi. Mais il importe de comprendre les raisons de ce non-lieu. L’Allemagne impériale avait constitué ce qui pouvait apparaître comme la matrice de la planification lors de la Première Guerre mondiale. Mais cette expérience avait été traumatisante tant pour la population, qui l’associait à de terribles privations, en particulier alimentaires, que pour la classe dirigeante qui avait vu ses droits de propriété diminués, voire bafoués, et cela sans que cela ne soit associé à la victoire. Pire encore, le système économique mis en place de 1914 à 1918 pouvait apparaître comme ayant favorisé la montée de la révolution dans la société allemande. Les partis de gauche étaient naturellement peu désireux de se voir associés à une période de l’histoire marquée par les privations et la honte de la défaite. Les partis de la droite traditionnelle rejetaient ces idées car contraires à l’idéologie libérale. La droite nationaliste et l’extrême-droite rejetaient elles aussi ces idées pour des raisons diverses allant de l’antisémitisme (dont Walther Rathenau restait la cible même après son assassinat) à la crainte que de telles méthodes ne favorisent la montée des idées communistes au sein de la société allemande.
La personnalité de Walther Rathenau, dont le nom était étroitement associé à l’organisation de l’économie de guerre [2] allemande au point que l’on peut le considérer comme l’un des « pères » de la planification, et dont les écrits se prononçaient explicitement pour des formes étroites de contrôle de l’économie par l’État [3], joua aussi contre une réception objective de ce qui avait été réalisé de 1914 à 1918. Rathenau, un démocrate libéral membre du DDP, cherchait depuis 1920 des alliances à gauche. Après avoir été ministre de la Reconstruction (1921), et commencé la négociation avec les Alliés sur la question des...