Philosophie

L'oubli de la vie

ENTRETIEN. Pour Matthieu Giroux, essayiste et fondateur de l’excellente revue Philitt, Michel Henry est un penseur fondamental pour comprendre notre époque. Avec L’oubli de la vie, Michel Henry face au monde moderne (éd. R&N), il nous met en contact avec la pensée profonde de ce philosophe méconnu. Entretien.

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Front populaire : L’approche de Michel Henry est une approche « phénoménologique ». Pouvez-vous nous expliquer ce qu’implique cette méthode philosophique ?

Matthieu Giroux : Kant avait montré, dans La Critique de la raison pure, que connaître consistait toujours à connaître par le prisme d’une représentation, c’est-à-dire grâce à la synthèse du concept et de l’intuition. Avant lui, la tradition métaphysique cherchait à connaître des choses en soi, c’est-à-dire des objets indépendamment de notre représentation : l’essence, l’âme, Dieu, etc. C’est l’intuition critique de Kant que la phénoménologie prolonge : nous ne pouvons connaître que des phénomènes, à savoir quelque chose qui se manifeste. Pour la phénoménologie, il n’y a pas d’être en-deçà ou au-delà de la manifestation. Son premier principe est d’ailleurs le suivant : autant d’apparaître, autant d’être. La tâche du philosophe consiste donc désormais à étudier uniquement les phénomènes. Mais cette tâche n’est pas aisée comme le montre bien l’œuvre de Michel Henry : il existe des phénomènes qui ne se manifestent pas dans l’extériorité, des phénomènes hors du monde qu’il faut être capable d’identifier et de thématiser. Et le plus important d’entre eux est bien sûr le phénomène vital.

FP : La « vie » paraît être une notion à la fois abstraite et triviale. Qu’est-ce qui vous fait dire, dans le sillage de Michel Henry, que nous l’avons oubliée ?

MG : Aux yeux de Michel Henry, la vie est l’essence de l’homme. Et ce qui définit proprement une essence selon lui, c’est qu’elle ne se manifeste pas dans l’extériorité. Une essence, nous dit-il, ne peut se situer hors d’elle-même. Or, le lieu de la vie est notre subjectivité. Elle est donc invisible en tant qu’essence dans le monde. Voilà peut-être une raison qui explique son oubli : la vie se définit avant tout comme cachée, comme soustraite au regard de celui qui nécessairement objectivise ce...

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