Encore inconnu du grand public jusqu’à peu, Alain Aspect est un pur produit de (feu ?) l’excellence française. Si vous avez lu la presse française, vous savez que l’expérience pour laquelle il a été récompensé il y a quelques jours a permis de trancher un débat entre deux autres physiciens, Niels Bohr et Albert Einstein. Si la physique sous-tendue par ces débats est d’une rare complexité théorique, la controverse philosophique qu’elle implique est absolument passionnante et peut intéresser tout un chacun. Pour comprendre comment Alain Aspect a posé les bases de la « seconde révolution quantique », il faut faire le chemin à l’envers.

La physique quantique est en quelque sorte un ensemble de théories physiques formalisées dans les années 1920 dans le but de décrire le comportement de la matière à l’échelle microscopique. Cette nouvelle physique a émergé dès le tout début du 20ème siècle lorsque, sur la base des travaux du savant allemand Max Planck, les physiciens européens ont compris que la vieille physique encore en vigueur à la fin du 19èmesiècle n’offrait plus assez d’armes.

Formalisée dans les années 1920, après les tâtonnements des deux premières décennies, la physique quantique est en l’espèce une double révolution, à la fois conceptuelle et ontologique, puisqu’elle nous oblige à créer de nouveaux concepts et à repenser la nature même des objets que nous tentons de décrire. Vous avez bien lu : la physique quantique implique de réinterroger notre rapport au réel lui-même. Dans la physique classique, les propriétés des objets appartiennent en propre aux objets. Par exemple, tel objet possède, en tant qu’objet, une vitesse et une position objectives, que je peux mesurer ou non. La vitesse d’un train en marche sera la même que je décide de la mesurer ou pas.

Dans le monde quantique, qui est non-déterministe, ces repères bien commodes se...