Lettre d’amour au peuple anglais
TEMOIGNAGE. Alors que les débats autour de la création de la « Super League » enflamment le foot mondial, les six clubs anglais fondateurs ont quitté le projet sous la pression des supporters anglais. Ces derniers ont tenu à rappeler que leur fidélité n’était pas à vendre. Une leçon de vie à laquelle a tenu à rendre hommage Max-Erwann Gastineau.
Peuple anglais, le grand philosophe espagnol José Ortega y Gasset, traduit en France par Albert Camus, disait de toi que tu étais le plus vieux d’entre nous. Pas au sens où tu serais le plus âgé (laissons cet honneur au peuple grec). Mais le plus habité par ton propre passé. En témoigne cet attachement, si curieux outre-Manche, à ta monarchie. « Ce peuple circule dans tout son temps, écrivait Ortega y Gasset dans La révolte des masses ; il est le véritable seigneur de ses siècles dont il conserve l’active possession ».
Le football n’a pas comme toi des siècles d’histoire. 150 ans, tout au plus. Mais bien assez pour te sentir indéfectiblement lié à son destin. Bien assez pour l’aimer comme on veille sur les blessures d’un père, dans la crainte et dans le tremblement et avec une pieuse sollicitude. Bien assez pour en ressentir les palpitations.
Peuple anglais, tu t’es levé comme un pompier de Paris face à une cathédrale millénaire menacée d’inadvertance. Tu t’es levé pour ne pas laisser une partie de toi s’envoler en fumée sous le pavillon de la capitulation.
Peuple anglais, il y a dans cette pancarte brandie par l’un des tiens, supporter de Chelsea, club leader de la fronde qui a secoué hier le monde du football : « we want our cold nights in Stoke » (Stoke, petit club du milieu de tableau de deuxième division, coincé entre les métropoles Birmingham et Liverpool), tout ce qui fonde plus qu’un championnat : une communauté. Derrière ces nuits froides de Stoke, tu veux continuer de partir en car avec tes copains, supporter les gars du coin (même quand ils viennent de loin), écumer les bars de ton voisin, cultiver un ancrage, crier, pleurer, embrasser, disjoncter... Tu veux vivre comme tu as toujours vécu. On appelle ça la fidélité.
Il...