Victor Hugo, déjà en pleine révolution industrielle, s’interrogeait sur la marche du Progrès dans son vibrant poème Melancholia, à rebours du positivisme comtien et de la Foi générationnelle pour les mirifiques découvertes scientifiques, techniques et médicales, incarnations et mirages d’un bonheur qu’on promettait certain, pérenne et solide. « Progrès dont on demande : Où va-t-il ? Que veut-il ? ». Questionnement ontologique hugolien.

Pourtant, la Science offrait alors un espoir incroyable à l’Humanité, celui d’aller vers un Homme épanoui grâce aux avancées sociales, aux transformations enthousiasmantes dans divers domaines. C’était une vision idéalisée, tournée vers le futur, une projection altruiste à plus ou moins long terme, qui profiterait aux générations futures. C’était un mouvement en avant, une quête, une évolution toujours connotée positivement, qui devait avoir pour finalité le bonheur. On pensait à son prochain, on espérait lui léguer et lui construire un monde meilleur. On « aspirait à ».

L’électricité nous offrait de la visibilité, la pénicilline faisait reculer l’espérance de vie, le train élargissait notre horizon, le temps de travail se réduisait progressivement pour nous permettre d’aller au cinéma ou de goûter les joies nouvelles des bains de mer démocratisés, les enfants avaient droit à l’instruction, les logements étaient plus confortables… Le Progrès s’érigeait en religion. La Religion n’arrêtait plus le Progrès, locomotive fumante, rieuse et enjouée. Le visionnaire Jules Verne désignait la lune à ses lecteurs, et ceux-ci ne regardaient pas alors son doigt.

Et puis, la Shoah, la bombe atomique, les totalitarismes de tous bords. Les points de rupture. La Foi en l’Homme rendu désormais impossible, illégitime. Honteuse. Le Progrès était mort, sacrifié sur l’autel de la démesure, de l’hybris. Les générations futures n’étaient plus pensées ni même envisagées. Prométhée avait été définitivement trahi par l’Homme. L’Homme s’était brûlé par son arrogance et son inconscience. Prométhée n’avait pas sauvé l’humanité d’elle-même....