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Éric Guéguen : « La France d’aujourd’hui n’est plus un objet politique »

La Rédaction

22/05/2022

ENTRETIEN. Philosophe politique et citoyen engagé, Éric Guéguen est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le Miroir des peuples (éd. Perspectives libres) et La Justice et l’ordre (éd. Politeia). Son dernier ouvrage Vade-mecum (éd. L’Esprit du Temps) se veut un appel au sursaut, à l’adresse de tous les citoyens français.

Éric Guéguen : « La France d’aujourd’hui n’est plus un objet politique »


Front populaire : Pourquoi un « guide du citoyen désorienté » ?

Éric Guéguen : Depuis quelques années, je constate que le désintérêt régulier pour la politique se double d’une totale incompréhension de ce qui est en train de se passer. Beaucoup de nos concitoyens ne sont plus seulement blasés, ils sont perdus ou, pour mieux dire, « désorientés ».

J’ai ainsi voulu leur proposer une sorte de guide mentionnant les principales notions qui nous environnent par le biais des médias, et sur lesquelles, il me semble, tout citoyen doit avoir un avis, même parcellaire. Il fallait que ce livre soit très court, très accessible et panoramique. De ce fait, je devais limiter mon propos à la mise en perspective de chaque notion, en invitant simplement le lecteur à se poser des questions auxquelles les médias refusent catégoriquement de répondre.

J’ai soigneusement agencé ces questions de manière qu’au terme de sa lecture, chacun prenne conscience de notre impuissance civique, entretenue au quotidien par un régime politique, voire métapolitique, auquel nous avons été conditionnés à consentir.


« Nous avons basculé dans la métapolitique, le management des âmes molles. »


FP : Dans un monde où l’expertise est sanctifiée, on pourrait vous demander quelle est votre légitimité pour prétendre vouloir guider vos concitoyens…

EG : Si la politique se meurt en France, c’est précisément parce que nous avons fait d’elle le pré carré d’experts en tous genres et que nous permettons à des gens d’en vivre en étant seuls habilités à en parler. J’irais même jusqu’à dire que la France d’aujourd’hui n’est plus un objet politique.

Comme je le disais plus haut, nous avons basculé dans la métapolitique, le management des âmes molles. Tout est sous contrôle, tout est verrouillé, prévu d’avance. Dormez tranquillement, braves gens, les mercenaires à la tête de l’État veillent à votre destin collectif ! Notez que tout ceci n’empêchera nullement les fameux « experts » de venir nous expliquer comment ils vont nous sortir de la panade en passant sous silence qu’ils nous y ont mis.

Quant à la notion de légitimité, je ne pense pas que des personnes ayant activement soutenu un président élu, lui-même, sans la moindre légitimité démocratique, soient les mieux à même d’en parler. Qui plus est, la démocratie n’est pas un régime d’« experts ». Mais comment s’étonner que les médias d’une technocratie ne veuillent pas le voir ?


FP : Votre livre repose sur un certain nombre d’entrées (République, wokisme, Gilets jaunes, islam, Internet, environnement…) Y a-t-il une ligne directrice par-delà des notions aussi diverses ?

EG :  Il y a en effet un fil rouge, qui débordait déjà dans mes ouvrages précédents et qui débordera peut-être dans les suivants. Ce fil rouge, c’est le manque de souveraineté populaire, son besoin et l’urgence de l’établir. Je me désole, je dois dire, de voir si peu de gens se soucier de la cause des causes, celle sans quoi rien n’est possible, à savoir la faculté de peser sur les décisions prises.

Je parle d’une urgence dans la mesure où la quasi-totalité des personnes qui détiennent un pouvoir de décision dans notre pays se vouent à pérenniser l’allégeance de la France à des instances étrangères ou supranationales. Cela doit changer. Malheureusement, nos institutions sont celles d’une société close, figée dans la subordination et l’inaction légale.


FP : Justement, vous dédiez une entrée à la notion de « souveraineté ». Avez-vous l’impression que ce concept politique fondamental ait la place qu’il mérite dans le débat public ?

EG : Si l’on entend par « débat public » ce dont les médias subventionnés estiment légitime de parler, nous sommes loin du compte. Il faut aujourd’hui se réfugier sur Internet pour entendre dans un brouhaha un autre son de cloche, notamment sur la notion de souveraineté, que les faiseurs d’opinion ont labellisée « extrême droite ».Ainsi, par on ne sait quel miracle, vouloir que les décisions qui concernent les Français soient prises par eux-mêmes serait manifester sa haine des étrangers. « Et alors, la marmotte… », bref.

Lorsqu’un fou d’Allah franchit ostensiblement la frontière italienne pour venir égorger des citoyens français dans une église, le manque de souveraineté est en cause. Lorsqu’on en vient à tricoter des masques, manquants, pour se protéger de la grippe chinoise, le manque de souveraineté est en cause. Lorsque nos dirigeants ont peur de réclamer du président américain de se mêler de ses affaires et de rester à sa place, le manque de souveraineté est en cause. Et lorsque les mêmes, toute honte bue, sont rendus incapables de se démarquer du clan des va-t’en-guerre dans la crise ukrainienne, sans pouvoir pour autant opposer à la Russie une armée digne, car dissoute aux trois quarts depuis vingt-cinq ans, le manque de souveraineté est en cause. Toutefois, le dire, c’est faire le jeu de…

FP : Vous critiquez la technocratie (notamment européenne), l’argent-roi, les médias, les élites déconnectées, l’immigration incontrôlée, la politique sanitaire infantilisante, la dépendance à la mondialisation… Selon la logique médiatique, vous cochez donc les cases « populisme » et « complotisme ». Est-ce un problème ?

EG : Pas pour moi en tout cas. Je ne cherche à rentrer dans aucune case. Ce sont les médias qui, pour mieux cerner leurs ennemis, les filtrent en fonction de leur audience, puis les placent dans des catégories et leur distribuent des blâmes ou des brevets de fréquentabilité. Cette méthode est caractéristique d’un corps de métier qui, dans l’ensemble, a cessé d’éclairer ses concitoyens. Il y a abandon de poste et, pour certains, haute trahison.

Plus tard, nous devrons néanmoins être magnanimes, indulgents avec les lâches. Pour en revenir aux qualificatifs à la mode, le populisme et le complotisme ne sont que deux avatars d’un même réflexe : une défiance légitime envers les preneurs de décisions et les faiseurs d’opinion. J’y vois parfois de l’outrance, mais si l’on se promet d’être indulgent à l’égard des lâches, on peut bien l’être vis-à-vis de citoyens trahis passés en mode survie. À tout prendre, j’aime autant que dans la marée de ceux qui se fichent de tout, un îlot de résistance accueille des citoyens courageux qui formulent parfois de mauvaises réponses à des questions qui, toutes, par définition, sont légitimes. Les mêmes médias qui crient haro sur le complotisme sanctifient les « lanceurs d’alerte »… qui ne sont pourtant que des complotistes qui ont réussi.


FP : Finalement, votre cité rêvée est proche de la conception « antique » du politique, une cité de l’engagement citoyen où la liberté se définit dans la participation à la vie publique. Cette conception a-t-elle encore un sens aujourd’hui où la liberté semble principalement consister à trouver les moyens d’échapper à la vie publique… ?

EG : La cité antique agit davantage comme modèle idéal que comme but à atteindre. Nous vivons à présent dans des pays de plusieurs millions d’habitants, où l’on communique instantanément avec des gens du monde entier, où l’esclavage a – disons-le – considérablement changé de forme, où le sacrifice de soi pour ses compatriotes ne fait plus de vous un héros mais une victime inconsciente, voire un fou, etc. Je pourrais poursuive et vous livrer un inventaire à la Prévert.

Il n’est nullement question de faire des Français des citoyens-soldats ou de sobres stoïciens. Il y a néanmoins un certain nombre de principes à promouvoir, et ce dès l’école, parmi lesquels le devoir de s’informer, le sentiment d’appartenance, l’esprit critique, la légitime défense, le caractère déterministe de la nature, les bienfaits de ce que l’on appelait les « humanités », etc. Toutes choses qui mettent un peu en sourdine le vacarme de l’individu anhistorique, qui soulignent l’imparfait du subjectif.


FP : Emmanuel Macron nous « prend pour des imbéciles ». Nous l’avons pourtant réélu. Syndrome de Stockholm ? Masochisme ? Faut-il admettre que nous sommes bien des imbéciles ?

EG : Des imbéciles, pas nécessairement. En revanche, des troupeaux domestiqués, c’est certain. Entre le « barbare » et le « civilisé » se niche le domestiqué. Quel est-il ? C’est celui qui snobe le barbare mais qui ne connaît rien à la civilisation, ou la réduit à sa propre médiocrité. Personnellement, j’ai plus de respect pour un barbare qui s’assume librement que pour dix domestiqués qui se moquent de lui dans leur enclos.

Une minorité de Français a fait le choix de porter à la tête du pays Emmanuel Macron pour cinq, voire sept ans de plus. Sur un effectif de soixante millions de Français en capacité de voter, seuls cinquante millions d’entre eux étaient inscrits sur listes électorales. Parmi eux, quinze millions se sont abstenus de voter. Sur les trente-cinq millions de votants, quinze millions ont fait le choix de voter pour Marine Le Pen. En définitive, seuls vingt millions, c’est-à-dire un tiers des Français en capacité de voter, ont élu Emmanuel Macron président. Cette minorité est parmi nous et, plus que jamais, elle est isolée. Elle ne l’est pas de notre fait, mais de celui de son poulain qui, sans vergogne, nous « emmerde », nous, les quarante millions.

Il y aura des conséquences, et elles seront dramatiques. En effet, la plupart des Français savent à présent que voter ne sert à rien car le pouvoir n’est pas dans les urnes. L’issue est ailleurs. La France, éternelle adolescente, n’est jamais parvenue à un changement de régime sans violence ; la IVe République n’ayant été que le faire-valoir de la Ve, elle-même orpheline depuis plus de cinquante ans et aujourd’hui moribonde.

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