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Pierre-André Taguieff décortique l’extrémisme politique

ENTRETIEN. Personne ne se définit comme « extrémiste » et pourtant le mot fuse dans le débat public, d’un camp à l’autre, d’une polémique à l’autre, depuis maintenant de nombreuses années. Dans son dernier livre, Qui est l’extrémiste ? (éd. Intervalles), le philosophe et historien des idées Pierre-André Taguieff a choisi de prendre le mot au sérieux. Entretien.

/2022/10/taguieff-extremisme


Front populaire : Vous avez choisi de ne pas vous interroger sur ce qu’est l’extrémisme en substance mais sur « qui » est l’extrémiste. Pourquoi ce pas de côté méthodologique ?

Pierre-André Taguieff : Celui qui est appelé « extrémiste », c‘est toujours l’autre. Et l’on est toujours l’extrémiste de quelqu’un. Ce qui peut être ainsi résumé : « Nous sommes socialistes, vous êtes libéraux, ils sont extrémistes. » Dans ses emplois ordinaires, le mot « extrémiste » est un terme polémique, comme les mots « raciste », « fasciste », « nazi », lesquels fonctionnent désormais comme des termes vides de sens mais remplissent une fonction d’exclusion, d’illégitimation, de diabolisation. Ils illustrent l’opposition entre « nous » et « eux » : « nous », normaux, modérés, respectables, et « eux », anormaux, excessifs, subversifs, inquiétants, intolérables. C’est là mon point de départ.

Analyser le fonctionnement polémique de ce terme qu’on pourrait croire strictement classificatoire et donc censé permettre de situer un groupe ou un individu dans l’espace idéologico-politique, c’est montrer d’abord qu’il relève du répertoire des termes injurieux, qui marquent une distance et témoignent d’une peur mêlée de mépris ou de haine. Dans l’usage courant, sa valeur classificatoire est voisine de zéro. Disons qu’il s’agit d’un terme pseudo-classificatoire et non conceptualisant, employé pour conjurer une menace ou neutraliser un adversaire politique. C’est pourquoi le processus d’extrémisation de l’autre peut et doit être décrit et analysé, indépendamment d’une définition générale de « l’extrémisme », qui reste à construire.

D’où la nécessité de commencer par poser les questions suivantes : Qui est dit « extrémiste » ? Par qui ? Dans quel contexte ? Dans le cadre de quelle stratégie ? En vue de quel objectif ? Il s’agit de partir de l’observable, c’est-à-dire à la fois des extrémistes tels qu’ils sont désignés et des anti-extrémistes qui les désignent, les accusent, les dénoncent, quitte à les calomnier ou les diffamer. Il faut cependant se garder de diaboliser en miroir les dénonciateurs : ceux qui dénoncent des...

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