Le temps des colonies
Si elle n’a pas changé de nom, la colonisation, telle que l’ont pratiquée les Européens depuis le XIXe siècle, a définitivement changé de visage. En témoigne la lecture du Dictionnaire universel de Pierre Larousse (1876) qui donne de l’Afrique une image correspondant à celle des stéréotypes de l’époque et qui voit dans la colonisation une démarche à la fois commerciale et humanitaire, considérée du seul point de vue des Blancs. Nul racisme dans son propos, au moins sur le plan des intentions manifestes. Mais c’est nous qui pouvons aujourd’hui, à la lumière des mouvements d’émancipation du XXe siècle, relire tout ce que fut « l’aventure coloniale » de l’Occident.
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Le sel noir : Quatre voix majeures
Pour illustrer le passage de l’Empire colonial français au processus de décolonisation qui existe au XXe siècle, quatre grands noms d’intellectuels s’imposent : Frantz Fanon, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Édouard Glissant. Choix arbitraire, voire réducteur, assurément. Mais ces auteurs ont durablement marqué les consciences et sont cités quand il s’agit de penser la critique du colonialisme.
Frantz Fanon (1925-1961), né en Martinique, s’engage du côté de de Gaulle en 43, combat avec de Lattre et fait douloureusement l’expérience du racisme. Il se rallie au parti communiste, devient psychiatre et observe le lien qu’on établit entre troubles mentaux et colonisation : passé en Algérie en 53, il milite pour l’indépendance et publie aux éditions Maspero, peu avant sa mort, le livre qui le rend célèbre, Les Damnés de la terre (1961). On reconnaît, dans le titre, une référence à L’Internationale, ce qui place le texte dans le combat révolutionnaire : à la violence des colonisateurs, il faut répondre par la légitime révolte des colonisés. Domination, oppression, aliénation : le livre est une arme de combat, ce que renforce la préface écrite par Sartre, admiré par Fanon. L’auteur de La Nausée écrit : « En le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds. » À la clarté studieuse de sa lampe de bureau, le brillant normalien en appelle aux meurtres et gagne ses galons de conscience anticoloniale.
Aimé Césaire (1913-2008), d’origine martiniquaise lui aussi, est une référence majeure de la pensée anticoloniale. Après de solides études à l’ENS, Césaire prend conscience de la discrimination dont sont victimes...