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À propos de "Londres", le second inédit de L.-F. Céline

La région des céliniens est traversée par un fossé qui sépare les « voyageurs » des « intégraux ». Les premiers, dont je suis, pensent que la révolution littéraire de Céline éclate dans Voyage au bout de la nuit pour s’achever (ou s’accomplir ou se terminer, je ne tranche pas ici) avec Mort à crédit. Les mêmes relèvent dans la suite – pamphlets et romans depuis Guignol’s Band – d’indiscutables rayons poétiques mais enfermés dans une tapisserie générale formaliste et cabotine. Quant aux « intégraux » ils considèrent, eux, ce qui n’est pas illégitime, que l’œuvre forme un tout, du Voyage à Rigodon, certains la voyant même culminer dans les derniers romans, ce qui est lourdement intenable.

/2022/12/19_Celine


C’est pour vous dire que c’est une ville curieuse Londres et joliment sérieuse dans un sens, et bien intérieure (1).

Ceci planté, j’ai lu Londres après Guerre. Et c’est un éclat de Mort à crédit, plus cette fois que du Voyage, qui nous revient d’entre les morts. Quand Guerre, possiblement écrit en 1934, exprimait en plein l’univers du chef-d’œuvre originel, avec Ferdinand réveillé « la guerre dans la tête » sur le champ de bataille d’octobre 1914, Londres, où il est réellement parti en 1915 on ne sait trop quand, le voit marauder dans le milieu des proxénètes, des demi-sels du crime et des prostituées, par ce constant va-et-vient célinien de pensions biographiques et de reversions fictionnelles. Cette période londonienne est, quant au récit biographique, enjambée par le Voyage qui faisait sauter Bardamu-Ferdinand du front à une permission puis à un hôpital pour soldats fous ou simulateurs, et de là vers l’Afrique. Sur le style et le ton, Londres rappelle donc l’atmosphère de Mort à crédit – « poético-pornographique », moins tragique que comique et burlesque parfois – pour la rédaction duquel Céline aurait abandonné, avant de le perdre en fuyant au Danemark, cet écrit retrouvé l’an dernier.

« Premier jet »

On lit dans sa préface que Londres, comme Guerre, serait un manuscrit de « premier jet ». Et on appuie ce diagnostic sur une quantité de ratures absentes des versions que Céline envoyait à sa secrétaire pour tirage d’épreuves, sur des interpolations de noms, sur une ponctuation qu’on peut en effet estimer, surtout pour Londres, ni complètement reprise ni tout à fait fixée. Or, je peine à croire, vu la tenue définitive de l’ensemble, qu’il s’agisse vraiment d’une toute première version. Je pense ainsi de telles phrases passées au tamis obsessionnel de...