Alimentation et guerre économique : les raisons de l’autonomie stratégique
(Article coécrit avec Étienne Lombardot, membre de l’EGE) La pensée stratégique semble parfois aux antipodes des questions agricoles et plus largement alimentaires, du moins dans l’imaginaire collectif. Et pourtant, quoi de plus stratégique que de nourrir 70 millions de personnes ? Sur ce volet comme ailleurs, il nous importe de chercher les voies de l’indépendance.
La révolte des agriculteurs français est un signal d’alarme qui aurait dû être tiré depuis longtemps. Le monde paysan est en danger pour des raisons de survie existentielle, mais aussi parce que la pérennité de cette force de travail est menacée par la réduction continue du nombre d’exploitants. Si la fragilisation du monde n’affecte pour l’instant qu’à la marge les traders qui jouent un rôle croissant dans les échanges de matières premières agricoles, il n’est plus possible de faire l’impasse sur deux problématiques essentielles : les besoins vitaux en alimentation des populations et la résilience des territoires. Ces deux problématiques relancent, à bas bruit pour l’instant, le débat sur la raison d’être de l’agriculture française.
La déqualification de l’agriculture dans les préoccupations stratégiques
L’agriculture est le troisième poste dans la balance commerciale française, derrière l’aéronautique et l’industrie pharmaceutique et cosmétique. Première constatation, sa singularité vient de sa diversité. Aucun pays au monde n’a une production alimentaire aussi riche que celle de la France. Ceci s’explique entre autres par la très forte diversité des sols et des climats (1). S’y ajoutent les systèmes agricoles des territoires de l’outre-mer qui ont aussi leurs spécificités. Mais jusqu’à une période récente, l’agriculture n’était plus considérée comme un enjeu stratégique. Les derniers commissaires européens en charge de ce dossier l’ont plus traité comme une contrainte marchande que comme un atout ou une nécessité. En France, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire affiche une dimension technique et sa direction administrative n’a pas cherché à revendiquer une posture plus importante dans la définition de la politique gouvernementale. Mais existe-t-il sur ce sujet une vision politique ?
Depuis Edgard Pisani (2), aucun chef d’État ou de gouvernement n’a voulu ou su aborder la question agricole en dehors du cadre des négociations « incontournables » sur la Politique agricole commune...