Le livre La Révolution introuvable est publié à chaud par le philosophe et sociologue Raymond Aron quelques mois après les événements de mai 1968. Liés à la droite, la figure d’Aron et donc son livre, sont souvent associés à une légende conservatrice, voire réactionnaire, comme suffiraient à le prouver quelques mots clés qu’on trouve dans son livre : « psychodrame » (le plus connu), mais aussi, « révolution introuvable » (repris en titre), « irrationnel », « nihilisme », « délire », etc. Cet ouvrage ne serait que la déploration d’un universitaire sexagénaire qui ne comprendrait rien aux aspirations d’une jeunesse en ébullition. Les choses sont en fait plus complexes si l’on prend le temps de regarder le livre en détail. Insistons sur deux points significatifs.

Une critique du système universitaire

La critique du système universitaire, d’abord. Aron, contrairement à certaines idées reçues, et bien qu’il fût lui aussi un pur produit du système d’excellence à la française (ENS, reçu major à l’agrégation de philosophie, doctorat, professeur à la Sorbonne puis au Collège de France deux ans plus tard en 1970) a toujours été non pas un conservateur, encore moins un réactionnaire, mais un réformiste sur ce terrain. Ayant souvent critiqué l’archaïsme du fonctionnement de l’université française, il se dit d’accord sur le fond avec le mouvement de 68 sur ce point. Il rappelle ainsi avoir critiqué depuis longtemps, par exemple, le concours de l’agrégation (ce qui a fait de lui la bête noire de la Société des agrégés) où la part de la « rhétorique » dans le succès est primordiale et n’est « ni une garantie de connaissances scientifiques ni une garantie des qualités pédagogiques (1) ». Il remettait également déjà en question l’utilité de la grande thèse d’État (qui disparaîtra en 1984) et, surtout, le fait que des titres obtenus entre 20 et 25 ans (normalien, agrégé, etc.) déterminent la totalité des...