Bling-bling
Les années « fric » et leurs suites néolibérales, retour de boomerang de l’hédonisme soixante-huitard ? Ou comment on passe de Cohn-Bendit dans la rue à Sarkozy à l’Élysée.
À considérer les deux grandes figures de 68 – marxiste-léniniste cintré dans ses dogmes et libertaire débraillé, désir en bandoulière – il peut sembler étrange de leur associer l’argent sonore. Et pourtant, la vulgarité bling des années 80 répercute un projectile lancé depuis les barricades du Quartier latin. Il est largement établi que mai 68 avait accompli sous un vernis marxiste-léniniste la révolution de, par et pour l’individu fétichiste de consommation. Et c’est sans accident qu’après avoir remporté contre le marxisme sa lutte idéologique, après s’être, surtout, débarrassé de tout complexe sociologique envers les prolos, le libertarisme estudiantin bourgeois de Mai a globalement abondé le libéralisme hédoniste des années 80. On est alors passé du hippie au yuppie, acronyme de Young Urban Professional, proche ancêtre de nos bobos mondialisés. Sur le plan anthropologique, le bling-bling n’exprime pas la trahison de l’idéal libertaire de 68 mais son accomplissement matériel. Symétriquement, l’ultralibéralisme reagano-thatchérien inspirateur des années fric se serait mal acclimaté sans alibis libertaires : pour casser en France un vieux fond catho-républicain fait de pudeur et de verticalité, il aura fallu rendre l’argent cool, la fête transgressive, le peuple beauf et raciste. Ce fut le travail, entre autres, de Canal +. Avec un art indéniable du spectacle pivotant sur le sarcasme, la décontraction féroce et la subversion servile, cette chaîne réalise la plus parfaite synthèse trotsko-mitterrandienne. La gauche d’argent ayant vaincu en 1983 la gauche du peuple, il lui fallait conquérir l’hégémonie culturelle pour rendre la nouvelle donne acceptable. Et il est revenu à la chaîne du grand bourgeois progressiste André Rousselet de célébrer, sur la commande de son ami Mitterrand, les noces entre le porno et le féminisme, les vulgarités de Tapie et de Jack Lang, le sport spectacle et le multiculturalisme, le bling-bling et la dénonciation « morale » de l’argent et,...