Choc des civilisations, conflits identitaires et guerres existentielles
Le choc des civilisations est-il une réalité absolue ou un fantasme ? Pour sortir de cette aporie qui, comme toujours, rassemble les « pro » et les « anti » dans un même dogmatisme, Pierre-André Taguieff montre en quoi la théorie d’Huntington est globalement valide, tout en présentant certaines limites.
Crises, tensions, chocs, conflits, guerres asymétriques, chaos, bouleversements : tels sont les mots par lesquels nous décrivons désormais le paysage géopolitique mondial, dans lequel nous identifions des entités collectives nommées nations, ethnies, cultures et civilisations, sans oublier les puissantes organisations terroristes. C’est là une manière de redécouvrir que la violence est au cœur des sociétés et de leurs rapports entre elles. Depuis le 11 septembre, cette « double razzia bénie contre New York et Washington (1) » célébrée par son commanditaire Oussama ben Laden, ce qu’on a appelé « l’ensauvagement du monde (2) », est devenu une évidence, illustrée par la multiplication des conflits locaux autant que par des actions terroristes d’inspiration djihadiste, sur fond d’une nouvelle guerre froide entre le monde occidental libéral et les grandes puissances nucléaires impériales que sont la Russie et la Chine, avec leurs alliés et leurs « proxys » formant l’« axe de la résistance » autour de la « mollahcratie » iranienne. Ce nouveau désordre mondial est souvent interprété comme le « retour de la barbarie au XXIe siècle ». Mais il serait naïf de croire que la barbarie avait disparu à la fin du XXe siècle, illusion suggérée par la victoire contre le nazisme et la fin du communisme soviétique. L’optimisme historique des organisations internationales, convaincues que le modèle de la démocratie libérale à l’occidentale devait s’imposer irrésistiblement dans le monde, s’est heurté à la brutale réalité observable. Il s’agit donc de s’interroger une fois de plus sur ce que nous voulons et pouvons faire face à la violence, à ses manifestations comme à ses causes occasionnelles, sans sombrer dans les utopies abstraites de la paix perpétuelle, du bonheur éternel ou de l’égalité parfaite.
Ainsi que l’écrivait le philosophe et polémologue « inconformiste » Julien Freund (3), en politique, il faut « savoir envisager le pire pour empêcher que celui-ci ne se produise (4) ». Il en va de...