Donner, c’est donner ? Les ambiguïtés du don
Apparemment gratuit et sans contrepartie, le don semble être un antidote à la marchandisation. Mais ne se réintègre-t-il pas souvent subrepticement dans un circuit d’échanges sociaux, à la fois matériel et symbolique ?
Nous avons déjà tous été apostrophés dans la rue par des militants d’association pour telle ou telle cause nous proposant de faire un don. Le premier argument est en général le fait qu'il est déductible des impôts à hauteur de 66 %. Ah bon ? Mais alors, c’est… un échange, plus un don ! À la différence de l’échange, fondé sur l’intérêt et la réciprocité, le don n’attend normalement pas de contrepartie ni de retour : il est gratuit et suppose le désintéressement de la part du donneur. Pourtant, il peut aussi être considéré comme une forme d’échange quand il crée une obligation de « contre-don » de la part de celui qui reçoit. Le célèbre Essai sur le don (1924) de l’anthropologue Marcel Mauss montre comment de nombreuses sociétés primitives se constituent autour de cette forme d’échange. Mais pourquoi, alors, parler de don ? Pourquoi ne pas procéder simplement à un échange commercial ?
Quand l’échange prend la forme du don
Reprenons ce que dit Mauss. La coutume polynésienne du potlach y est identifiée comme une forme d’échange mais qui échappe à la rationalité calculatrice de l’Homo economicus : le but est moins la possession des objets échangés que la relation instaurée par l’échange des cadeaux. Mauss insiste sur plusieurs points. « D’abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : clans, tribus, familles, qui s’affrontent et s’opposent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l’intermédiaire de leurs chefs, soit les deux à la fois (1). » Le modèle est donc aux antipodes du consommateur individualiste qui désire maximiser son profit. Il y a ensuite un primat du symbolique sur le matériel. « De plus, ce qu'ils échangent, ce n'est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles...