École de Caen
Fruit d’un néologisme de Michel Onfray, l’« École de Caen » regroupe trois transfuges de 68 devenus des intellectuels critiques du mouvement : Gauchet, Yonnet, Le Goff.
En mai 68, dans les amphithéâtres de l’université de Caen, Michel Onfray a eu des prédécesseurs presque aussi célèbres que lui : Jean-Pierre Le Goff, Paul Yonnet et Marcel Gauchet. Une triade en devenir qu’Onfray a lui-même baptisée, plus tard, « l’École de Caen ». À l’époque, les trois étudiants sont marqués notamment par l’enseignement du philosophe Claude Lefort, le fondateur, avec Cornelius Castoriadis, de la revue Socialisme ou Barbarie. Lefort enseigne la sociologie à Caen de 1966 à 1971 et prône un marxisme antistalinien et antitotalitaire, ainsi qu’une conception non étroitement économiste de la société. Dans un premier temps, le trio s’engage avec ferveur dans le mouvement de mai. Un mouvement qui commence très tôt à Caen, dès janvier avec la visite d’Alain Peyrefitte : « Dans la cour d’honneur de l’université, le nouveau ministre de l’Éducation est accueilli par des jets d’œufs. “J’ai raté Peyrefitte de dix centimètres, mais je peux dire que j’ai presque fait mouche”, raconte Gauchet. Le plan Fouchet, contre lequel l’UNEF mène campagne, n’est qu’un prétexte. Les contestataires sont avant tout guidés par le goût de la transgression1. » Le mouvement déborde vite au-delà de l’université. Les trois étudiants sont notamment marqués par la fronde très violente des ouvriers de l’usine Saviem qui vire à l’émeute dans la nuit du 26 au 27 janvier : barres de fer, bouteilles d’essence, jets de boulon, etc. Le 10 mai, Le Goff se retrouve à sa première manifestation à crier « CRS = SS ! ». Mais c’est seulement à la rentrée suivante, celle de l’année universitaire 1968-1969, que les trois étudiants, qui s’étaient croisés de façon épisodique, vont constituer un trio amical et intellectuel. Sans adhérer au maoïsme ni au trotskysme, ils revendiquent une posture certes provocatrice et rebelle, mais plutôt bon enfant en se méfiant déjà de l’utilisation de la violence : « La petite bande “anarcho-situationniste” fait...