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Écrire la guerre

On fait toujours la guerre deux fois : au bout du fusil, au bout du stylo. Au fil de l’épée, au fil de la plume. La raconter ou l’iliadiser, la célébrer ou la vilipender, qu’importe : quand les armes se taisent, les langues se délient. Après tout, comme l’a dit de Gaulle, « l’histoire des hommes est celle de leurs armes ». Aux écrivains, il revient de dire la guerre dans ce qu’il y a en elle d’humain, voire d’inhumain, et de surhumain. Quand les historiens ont refermé leurs cahiers proprets consignant faits, chiffres et dates, les hommes de lettres s’attaquent à l’essentiel. Nos corps, nos âmes, nos morts. Et nous racontent cette évidence, aphorisée par Élie Bruneau : « Si les hommes font la guerre, c’est parce que la guerre fait les hommes. »

/2023/06/37_lanot


Au commencement est la guerre : Achille, Roland et Henry


Les grands récits fondateurs donnent à la guerre une place centrale : Homère, dans son Iliade, invite à entendre les aventures d’Achille, qui, avec les Achéens emmenés par Agamemnon, ira combattre le prince troyen Pâris, lequel a enlevé la belle Hélène. Simone Weil, dans une formule saisissante, dit de cette épopée qu’elle est « le poème de la force » : force des combattants, puissance des corps en lutte, fracas des armes, mais aussi force d’âme des guerriers, qui affrontent la mort, qui savent donner leur vie pour leur camp, et qui composent avec les valeurs sacrées que sont la fidélité, l’amitié, la parole donnée. Achille – et c’est là le sujet originaire du poème – se retire sous sa tente et manifeste son courroux, parce que offense lui a été faite par Agamemnon. Patrocle, son ami, ira combattre avec les armes d’Achille, et la mort de Patrocle déchaîne la seconde colère d’Achille, aboutissant au point culminant du récit, le face-à-face terrible entre les deux héros, le Grec Achille et le Troyen Hector. Homère le révèle : la guerre permet aux hommes les plus grandes actions, allant jusqu’à cette démesure terrifiante qu’est l’hybris. À la fin, après qu’Achille a eu tué Pâris, et indignement traîné son corps devant les murailles de Troie, Homère donne à lire une scène magnifique : le repas pris en commun par Achille et son adversaire, Priam, le père de Pâris. C’est sur cette rencontre apaisée, conviviale au sens propre, que prend fin l’histoire : l’aède achéen réunit les combattants, et fait taire la guerre.

Que veut Roland ? Mettre son épée au service de son Dieu et de son suzerain, l’empereur Charles, et combattre les ennemis de Dieu, les Sarrazins. Le récit de La Chanson de Roland, notre épopée patrimoniale, est simple : le preux...

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