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Écrire le transhumanisme

« Borné dans sa nature, infini dans ses vœux » : ainsi Lamartine définit-il l’homme, dans le poème phare de ses Méditations poétiques. Toute l’aventure humaine est celle d’un accomplissement qui se présente forcément comme un dépassement. La fin de l’âge d’or comme la sortie du jardin d’Éden sont deux mythes fondateurs qui disent que les hommes sont condamnés au travail, donc au progrès. Travailler, c’est à la fois s’accomplir et se transformer, indissociablement. La transgression est inscrite dans la progression. Maîtriser et posséder la nature, tel sera le propre de l’activité humaine. Mais aussi augmenter l’homme, le transformer : jusqu’où ? Rivaliser avec Dieu et commettre un sacrilège ? Ou croire en la raison à l’œuvre et affirmer que la science sera le mot ultime de l’humanité ?

/2023/09/26_ECRIRE-LE-TRANSHUMANISME

LE SAVANT ET SA CRÉATURE

Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne Éd. Folio SF [1818]

Quand paraît en 1818 le roman de Mary Shelley Frankenstein ou le Prométhée moderne, le texte se place dans la tradition du savant génial dont l’œuvre, par sa puissance, étonne et bouleverse : le mythe de Pygmalion (ce personnage de la mythologie qui a donné vie à une statue), celui du Golem ou celui de Faust et celui, très ancien et repris par Goethe en 1797, de l’apprenti sorcier, sont évidemment connus par la romancière, et figurent plus ou moins explicitement dans son récit. Mais à cet héritage s’unit une grande force de novation : Mary Shelley inscrit l’aventure de son personnage éponyme à la jonction subtile de l’idéologie des Lumières et de l’âme romantique. Savant et passionné, méthodique et illuminé, rationnel et démesuré, Victor Frankenstein n’est pas seulement un avatar supplémentaire de l’inventeur, il apparaît aussi comme le premier personnage de ce type à poser la question des limites de l’activité scientifique, permettant à la romancière et aux lecteurs de toutes les époques de s’interroger sur le fait que la science, de manière oxymorique, porte tout ensemble la promesse et la menace.

Alain Morvan, traducteur et préfacier, propose une stimulante réflexion sur l’oxymore, dont il considère qu’elle est une véritable figure organisatrice du texte, tant les contrastes et les oppositions s’affrontent et s’unissent tout au long du livre. Rappelons l’intrigue : à l’orée du XIXe siècle, un jeune et brillant chimiste, Victor Frankenstein, inspiré par les progrès de l’électricité et les réflexions sur l’énergie, décide de créer la vie non pas à partir de la vie, mais de la mort. Avec des cadavres récupérés, il façonne – on songe à Dieu dans la Genèse pétrissant Adam – une créature à forme humaine à laquelle, une nuit...