Et Mitterrand inventa l'immigrationnisme
ENTRETIEN. Les éditions de L’Artilleur ont eu la lumineuse idée de rééditer Voyage au centre du malaise français, un ouvrage majeur du sociologue Paul Yonnet (1948-2011), publié en 1993 dans la collection Le Débat chez Gallimard. Ce livre mettait en cause le pouvoir socialiste de l’époque dans l’avènement de l’antiracisme différentialiste et pointait du doigt ses contradictions par rapport à la tradition républicaine. Marcel Gauchet, qui fut pendant quarante ans le rédacteur en chef de la revue Le Débat, signe la préface de la réédition et nous montre comment son ami Yonnet a percé à jour, le premier, la duplicité d’une gauche qui tambourine sur le sociétal pour faire oublier son abandon du social.
Front Populaire : Pour ceux qui découvriraient le livre dans le cadre de cette réédition, pouvez-vous en présenter les grandes lignes ? Quelle est la thèse de Paul Yonnet ?
Marcel Gauchet : Le titre et le sous-titre du livre disent bien son objet. Il propose une analyse de l’antiracisme, apparu dans les années 1980 en réaction à la percée électorale du Front national, elle-même consécutive à la politique migratoire de la gauche arrivée au pouvoir en 1981. Yonnet montre la rupture qu’opère ce « néo-antiracisme », comme il l’appelle, par rapport à l’antiracisme républicain classique et à son souci de traiter les personnes indépendamment de tout critère de race. Le néo-antiracisme, au contraire, ramène à sa façon ce critère au centre de l’identité des personnes, ce qui en fait non pas bien sûr un racisme, mais un « racialisme » directement dirigé contre ce qu’il considère comme le mensonge de l’universalisme républicain. D’où son impact ravageur sur ce que Yonnet nomme « le roman national » français. Il est l’un des premiers, sinon le premier, à utiliser l’expression qui a fait florès depuis. Loin de combattre efficacement la xénophobie et d’apaiser les tensions, ce néo-antiracisme jette de l’huile sur le feu en suscitant une véritable angoisse de mort collective chez un peuple qui n’aurait plus de raison d’être. La suite a ratifié au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer la justesse du diagnostic.
F.P. : Publié en 1993, le livre de Paul Yonnet a été écrit à la fin des années 80. Vous expliquez dans votre préface que cette courte époque bénie a vu le jour dans un interstice temporel entre deux orthodoxies castratrices. Lesquelles ?
M.G. : Il y a eu l’orthodoxie communiste, avec toutes ses ramifications, qui a régné dès 1945, à laquelle a succédé une orthodoxie de nature très différente, beaucoup plus difficile à cerner, que l’on peut...