On a coutume de situer mai 68 dans le sillage du féminisme de la deuxième vague – que l’on fait commencer dans la décennie 1960-1970. Intensifiant les critiques formulées durant la première vague (celle dite des suffragettes), ce féminisme se pare d’un vocabulaire volontiers révolutionnaire et investit le champ de la santé reproductive des femmes (lutte en faveur de la contraception et de l’avortement) et de la liberté sexuelle. Accompagnant souvent d’autres dynamiques comme l’agitation étudiante ou le mouvement hippie (et plus marginalement les luttes ouvrières), ce féminisme-là incarne tout à la fois une progression de la cause des femmes et une forme d’émancipation pour les deux sexes. Si certains, comme Serge July, ont pu écrire rétrospectivement que « la modernité de 68, c’est l’accélération de la féminisation du monde » (Le Monde, 19 juin 2012), l’événement a pourtant été vécu par de nombreuses militantes comme la réplication sous d’autres formes de l’ordre patriarcal antérieur. Antoinette Fouque, cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF), reproche au mouvement son primat phallocratique et parle à ce propos de « priapisme du gauchisme (1) ». Et l’historien François Dosse de commenter, dans le second tome de sa somme La Saga des intellectuels français (éd. Gallimard, 2019) : « Antoinette Fouque ressent, comme d’autres, un intense malaise dans ce moment de contestation qui privilégie les valeurs virilistes, guerrières et machistes, et déplore que les femmes se trouvent prises entre le fusil et le phallus. » Les révoltés de 68 ne sont en effet pas exactement des hommes déconstruits, et comme l’écrit Ludivine Bantigny, « le masculin apparaît comme le genre de la lutte (2) ». Dans Révolution culturelle, le journal de l’université de Vincennes, Guy Hocquenghem critique à plusieurs reprises l’iconisation par les mouvements gauchistes de la figure du prolétaire viril. Évoquant, dans les manifestations et les occupations de facultés, l’implication des...