FPContenu payant

Flaubert face au tumulte de 1848 : quand le roman parvient à transfigurer l'histoire

Gustave Flaubert (1821-1880) fut incontestablement un des plus grands écrivains de notre littérature et incarne pour beaucoup le roman français dans ce qu’il a de plus abouti. Parce qu’il se considérait d’abord en artiste, il resta au-dessus de la mêlée historique et politique où s’engagèrent tant d’écrivains de son temps. À travers L’Éducation sentimentale, il peint ainsi la génération de 1848 sans prendre parti. La « Vérité » intéressait moins Flaubert que la bêtise bavarde de ceux qui prétendaient la personnifier.

/2020/11/flaubert_1


Depuis bientôt un siècle, nous vivons sous l’influence du génie américain, celui du show-business, de l’image animée et de la pensée-tweet. L’Europe, depuis les rives de la mer du Nord jusqu’à celles de la Méditerranée, demeure ce berceau civilisationnel où le génie des peuples permit que les particularités de chacun d’entre eux contribuent à l’universel. Le génie allemand, ce fut la philosophie. Le génie britannique, ce fut la poésie. Les génies italien et flamand, ce fut la peinture. Le génie français, ce fut la littérature.

La France est une nation littéraire, une nation romanesque. Un président ou aspirant-président qui ne serait pas un amoureux des lettres doit s’inventer une bibliothèque pour se mettre à hauteur du destin national, et l’on peut croire que les bibliothèques du personnel politique de 2020 sont sans doute moins riches que celles de Clemenceau, du général de Gaulle ou de Mitterrand. Jusqu’à la déculturation littéraire de masse façonnée par l’école pseudo-démocratique, notre mémoire populaire était habitée par nos grands écrivains plus que par nos dirigeants successifs, sauf quelques figures d’exception telles Louis XIV, Napoléon, Clemenceau ou de Gaulle. En France, tiendrait-on pour sérieux un historien qui laisserait les sources littéraires de côté lorsqu’il tente de rendre compte de la complexité du passé national et des représentations sociales et politiques d’alors, points d’ancrage de l’Histoire ? Chaque grand événement a son chef-d’œuvre, son écrivain de génie.

UN ÉCRIVAIN ERMITE ?

À vingt-quatre ans, je découvrais Gustave Flaubert, son œuvre romanesque d’abord, puis sa correspondance, la génétique de ses textes analysée par l’école flaubertienne française¹. Mon rapport à la littérature en fut bouleversé, et modifia le regard sur ma discipline, l’histoire. Certains doctes historiens contemporains me paraissaient ressembler à Bouvard et Pécuchet tentant d’écrire la biographie du duc d’Angoulême : « le goût de l’Histoire leur était venu, le besoin de...