L’Apocalypse végane : stercoraires, coprophiles & autres posthumains
L'édito de Michel Onfray.
La sagesse populaire souscrit à cette assertion : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. » On sait moins que cette phrase se trouve dans la Physiologie du goût de Brillat-Savarin, un homme qui inscrit son travail dans le courant philosophique des Idéologues (1) qui proposent un genre de sensualisme empirique dont on parle assez peu, à tort, dans le monde philosophique – du moins dans ce qu’il en reste. Ces Idéologues, Volney, Destutt de Tracy, Cabanis, ont été des opposants au Jacobin impérialiste que fut un certain Napoléon Bonaparte.
Brillat-Savarin ne fut pas qu’un aimable amphitryon, ce fut aussi et surtout un penseur de la table dans une logique rayonnante, philosophique, anthropologique, politique, sociologique, bien souvent réduite à quelques anecdotes.
On sait qu’une civilisation se manifeste dans ses monuments, dans ses œuvres : architecture, peinture, sculpture, littérature, philosophie, musique, poésie. Mais elle se montre aussi dans ce qui raconte tout autant qu’un temple, une toile, une statue, un roman, un traité, un opéra, un poème, à savoir : dans un verre de vin et dans une assiette remplie d’un mets qui concentre de la mémoire, donc de l’histoire. Héraclite écrivait avec raison : « Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine ! ».
J’ai vu, sur un marché africain, à Brazzaville, au Congo, des larves grouillantes dans des bassines en émail écaillé, de petits crocodiles entravés à la gueule et aux membres par du fil de fer, des serpents tranchés en darnes ou des cadavres de singes qui semblaient humains sur lesquels voletaient des mouches dans un air écœurant saturé par le sang et les matières fécales des animaux de brousse. J’avais dîné dans un restaurant où l’on me fit savoir le lendemain que la spécialité était une soupe de poissons confectionnée avec l’eau récupérée dans des morgues au...