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L’alimentation, entre identité et puissance : entretien sur les enjeux géopolitiques de l’alimentation

La nourriture, pur objet de loisir ? Il est vrai que rien n’est a priori plus anodin que de manger. Pourtant, derrière ce geste se joue souvent la marche du monde. Nous avons proposé à Gilles Fumey, spécialiste de l'alimentation, un tour d’horizon des enjeux.

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F.P. : Notre rapport « ludique » à l’alimentation nous fait souvent penser qu’elle n’est pas un sujet sérieux. Grave erreur de perspective ?

Gilles Fumey : Longtemps, travailler sur l’alimentation était tabou dans les sciences sociales. On pensait que l’alimentation relevait du loisir, sans doute parce que la haute gastronomie est née de l’art des cuisiniers de talent, tels Antonin Carême et Auguste Escoffier qui ont développé le capital culinaire et théâtral de la monarchie. Le mouvement hygiéniste du XIXe siècle a ensuite fabriqué une science nutritionnelle, exercée par les biologistes. Dans le même temps, le contrôle contre les fraudes alimentaires était à l’origine d’une approche juridique de protection des productions et transformations alimentaires. Il a fallu attendre les années 1930 pour les premières recherches sur la faim et les années 1950 pour voir émerger des études en sciences sociales avec les anthropologues dont Claude Lévi-Strauss, les sociologues, historiens, géographes dont certains avaient pourtant donné des signaux de recherche depuis longtemps mais de manière isolée.


F.P. : Ce que nous mangeons dit-il quelque chose de nous, à l’échelle individuelle et collective ? Autrement dit : l’alimentation renseigne-t-elle sur les clivages socioculturels en France ?

GF : Vue sous l’angle des clivages, l’alimentation est certes, avec le langage, l’un des marqueurs les plus forts entre les humains. Aussi bien à l’échelle de peuples entiers qu’à celle des familles, où anorexiques et boulimiques tracent des frontières difficiles à franchir. L’Ancien Testament biblique donne des interdits, marquant une différence avec les autres peuples du Moyen-Orient, des prescriptions érigées au rang de tabous. Tout comme le Coran listant ce qu’il faut manger et refuser, prescrit des règles de jeûne (siyâm) dont le plus connu est le ramadan. L’hindouisme, le jaïnisme, le bouddhisme portent, eux aussi, des interdits pratiqués de manière très variable selon les courants religieux et les régions. En psychologie, le clivage...

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