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Le complexe militaro-intellectuel : vendre la guerre… sans la faire !

Dans une ère où l’image prime, vendre la guerre est d'une importance cruciale. Vendre la guerre, puis la commenter inlassablement. Or, la chose est connue, ceux qui vendent la guerre sont rarement ceux qui y meurent : intellectuels belliqueux, psychologues de plateaux télé, promoteurs de « guerre juste », humanitaires aux mains ensanglantées… ils forment ce que Pierre Conesa nomme le « complexe militaro-intellectuel ».

/2023/06/11_complexe


La guerre ouvre un droit légal de tuer, moment particulier d’inversion de valeurs : l’interdit devient obligation, celui qui refuse de tuer peut être exécuté par ses compatriotes. Une démocratie n’est pas plus pacifiste par nature qu'une dictature n’est belliciste par nature. Mais la différence essentielle tient au fait que l’action militaire menée par une démocratie doit être acceptée par l’opinion, être « démocratique ». Le Président Eisenhower qui avait fait la guerre, confronté à la course aux armements de la guerre froide, mettait en garde les démocraties dans son Discours de fin de mandat (1961) contre l’influence grandissante du complexe militaro-industriel porté par la guerre froide. Dans un monde sans ennemi structurant après l’éclatement de l’URSS, c’est le rôle que va prendre le complexe militaro-intellectuel qui succède au complexe militaro-industriel : choisir la crise, désigner le gentil et le méchant, interpeller le pouvoir politique et enfin, désigner à la vindicte publique ceux qui s’y opposent, qualifiés de « suspects », de « traîtres » à éliminer…


Le monde post-soviétique


Après la catastroika, la disparition de l’URSS, la machinerie stratégique occidentale sans paradigme planétaire se grippe. Comme l’avait dit Gueorgui Arbatov, le conseiller de Gorbatchev à ses interlocuteurs occidentaux : « Je vais vous rendre le pire des services, je vais vous priver d’ennemi. » La disparition de l’ennemi structurant – l’URSS qui avait pendant soixante-dix ans réglé les analyses stratégiques – laisse les organismes de réflexion stratégiques face à un dilemme : débaucher ou inventer l’ennemi. Samuel Huntington et Francis Fukuyama, deux universitaires américains, vont fournir des réponses aussi biaisées l’une que l’autre : Huntington, avec Le Choc des civilisations (traduit en trente-cinq langues) et Fukuyama, avec La Fin de l’histoire et le dernier homme, deviennent les grands penseurs officiels décrivant une supposée géopolitique future surtout destinée à conserver la suprématie absolue des États-Unis : le paradigme d’Huntington consiste à voir le...