Le contre-féminisme et ses agents
Le monde serait simple s’il se divisait en deux camps, celui des féministes qui défendent les femmes et celui des antiféministes, qui les méprisent. Il semble pourtant se dégager de nos jours une troisième catégorie qui tient davantage de la nébuleuse – où s’agitent lobbyistes européens, salafistes, néolibéraux et théoriciens du genre – et que Sylviane Agacinski appelle le « contre-féminisme » : des groupes souvent minoritaires en nombre qui nuisent aux femmes, parfois en leur nom, souvent en celui de leurs intérêts et du « progrès ».
En apparence, la cause est entendue : tout le monde ou presque se dit féministe, y compris les hommes. Face à un néoféminisme victimaire, pour lequel tout mâle est un agresseur potentiel, on voit même certains d’entre eux faire profil bas et revendiquer une « déconstruction » de leur coupable virilité. Loin de moi, rassurez-vous, l’idée de nier la permanence et même l’augmentation inquiétante des violences sexuelles et sexistes dans notre société, en dépit des multiples plans de lutte gouvernementaux pour en venir à bout, notamment au moyen de sanctions pénales. Mais quelque chose cloche dans l’apparent consensus féministe. Car à côté des discours et des mesures prises pour mieux protéger les femmes ou promouvoir l’égalité des droits entre hommes et femmes, subsistent ou apparaissent des doctrines et des forces militantes objectivement contre-féministes.
Je désignerai sous ce terme, à la fois des idées, des organisations ou des auteurs qui, à leur façon, contestent le mouvement historique d’émancipation des femmes ou lui font obstacle. Ces forces ne se disent pas explicitement antiféministes et n’agissent pas forcément dans l’intention assumée de nuire aux femmes : ceux qui les portent défendent seulement leurs propres intérêts.
J’en citerai seulement quatre exemples : les doctrines et organisations islamistes intégristes ; les théories et organisations pour lesquelles les genres remplacent les sexes et le féminisme s’efface – faute de femmes ; les théoriciens et les bénéficiaires d’un ultralibéralisme qui nous conduit vers des sociétés de marché et pour lequel la vie et le corps des femmes sont déjà des marchandises ; enfin les institutions qui, au sein de l’Union européenne, prennent la défense des « droits » et des intérêts de ces forces contre-féministes.
En guise de préambule, rappelons que la pensée féministe, dans notre culture, s’est appuyée sur un constat largement partagé, et bien formulé par le philosophe anglais John Stuart Mill :...