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Le Grand-écrivain, vu de dos, vu de face

Michel Houellebecq est-il un grand écrivain ? Nous avons posé cette question à Sébastien Lapaque, auteur multiprimé (son dernier roman, Ce monde est tellement beau, paru l’an dernier chez Actes Sud, a reçu prix Jean-Freustié), fin connaisseur de Georges Bernanos, Roger Nimier et Frédéric H. Fajardie.

/2022/11/7_lapaque


Les lecteurs de L’Homme sans qualités de Robert Musil se souviennent de Paul Arnheim, ce riche industriel versé dans les secrets du fonctionnement du monde des affaires, devenu un auteur à succès, triomphant dans toutes les rubriques des grands journaux, hantant la chronique économique, les pages politiques et l’actualité culturelle.

Arnheim, un vainqueur auquel même Balzac n’aurait pas songé donner vie, est un demi-dieu exilé dans un monde inaccessible aux petits princes de l’esprit. « Auréolé du halo magique de sa richesse et du bruit de son importance, il devait constamment fréquenter des gens qui, dans leur domaine propre, lui étaient supérieurs ; il leur plaisait pourtant, parce qu’il avait une connaissance étonnante de leur spécialité pour un non-spécialiste, et il les intimidait dans la mesure même où sa personne représentait une relation entre leur monde et d’autres mondes dont ils n’avaient pas la moindre idée (1). »

Robert Musil songeait-il à Thomas Mann, à Franz Werfel ou à Stefan Zweig lorsqu’il a imaginé le personnage de Paul Arnheim ? Il lui a trouvé un nom destiné à rester dans l’histoire de la littérature : Der Großschriftsteller. Dans sa merveilleuse traduction de L’Homme sans qualités, Philippe Jaccottet a pris soin de le transcrire avec un tiret, « le Grand-écrivain », pour ne pas lui faire perdre sa connotation germanique. Les lecteurs français auraient cependant tort de considérer qu’au pays de François Villon, de Colette et de Patrick Modiano, le Grand-écrivain, ce polygraphe capable de remplir jour après jour « les caisses d’épargne de la prospérité intellectuelle de la nation (2) » est une créature trop énorme, trop allemande. Car Goethe n’était pas encore né lorsque Voltaire a écrit Zadig. Dans Le Sacre de l’écrivain (1750-1830), Paul Bénichou scrute justement du côté de la France l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans l’Europe moderne.

« Aussi loin qu’on aille dans l’histoire...