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Le présent et le futur selon Michel Houellebecq

En 2016, Michel Houellebecq dressait pour Les Inrockuptibles la liste d’une vingtaine de livres qui, selon lui, n’avaient pas reçu un accueil mérité de la presse. Parmi ceux-ci, Après la chute, le second roman d’Olivier Rey (paru l’année précédente aux éditions Pierre-Guillaume de Roux) a ainsi bénéficié d’un coup de pouce salutaire. Son auteur, polytechnicien et chercheur en philosophie au CNRS, se penche ici sur le « Houellebecq futurologue ».

/2022/11/9_Rey


« Il trouvait que le bonheur mérité par l’excellence de son âme tardait à venir. » Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869

Le futur s’anticipe à partir de l’état présent et de la dynamique en cours. Pour ce qui est de l’état présent, il n’est pas brillant. À peu près tout se dérègle, du climat à l’économie, de la politique à la démographie, de la biosphère aux mœurs. Même le très progressiste Macron a cru bon de nommer son nouveau parti Renaissance. De quoi renaît-on, sinon de ses cendres ? C’est dire le marasme dans lequel, après des siècles de progrès intensif, nous sommes plongés. L’humeur individuelle en témoigne.

En 1994, Michel Houellebecq écrit dans Extension du domaine de la lutte : « Aucune civilisation, aucune époque n’ont été capables de développer chez leurs sujets une telle quantité d’amertume. De ce point de vue-là, nous vivons des moments sans précédent. S’il fallait résumer l’état mental contemporain par un mot, c’est sans aucun doute celui que je choisirais : l’amertume. »

Pour ce qui est de la dynamique en cours, c’est en cherchant à éclaircir la façon dont un état si peu enviable a été atteint que nous en aurons une idée.

La messe catholique commence par un Kyrie eleison – Seigneur, prends pitié. Au temps de la chrétienté, les hommes ne se faisaient pas une image idyllique de leur condition. À l’église, mais aussi en dehors. Un exemple ? Une tradition d’origine pythagoricienne voulait que les mouvements des astres fussent régis par des nombres, dont les rapports correspondaient aux proportions qui produisent l’harmonie en musique. Voici que Kepler, au début du XVIIe siècle, découvre que les planètes décrivent non des cercles, mais des ellipses, et que la vitesse sur leur trajectoire n’est pas constante, mais varie, conformément à la loi des aires. Il calcule le rapport...