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Les chemins de la puissance : De Gaulle et l'État-stratège

Quoi qu’en disent les libéraux, la vision gaullienne de la puissance ne peut s’incarner que par le truchement d’un État, non pas omnipotent, mais assez fort pour définir une stratégie en se donnant les moyens de la mettre en œuvre. De nos jours, où l’on redécouvre les vertus d’une certaine forme de planification, la leçon est bonne à prendre. Elle est donnée par Claude Rochet.

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La notion d’État-stratège revient à la mode après avoir été vouée aux gémonies par la vague libérale. Mais elle est source de méprise. Si l'on pensait, et certains le font encore aujourd'hui, que c'est à l'État de définir la stratégie du pays et plus encore de la gérer, on commettrait une grosse erreur que de Gaulle n'a pas faite. La source d'inspiration du général n'était pas dans les théories économiques, mais dans l'histoire, autour d'une question : « Comment fait-on un pays puissant, libre et prospère ? » Dans tous les pays européens de l'époque moderne, l'économie était la source de la souveraineté et, bien plus, de la puissance, mais c’était la politique qui commandait à l’économie et non l’inverse. C’était également vrai pour les pays qui se sont fait les théoriciens du libéralisme comme la Grande-Bretagne ou, contrairement à une idée reçue tenace, le rôle de l'État se situait au cœur de la stratégie de développement. C’était, selon l'analyse de l'historien de l'économie Patrick O’Brien, un « état fiscalo-militaire1 ». Il était stratège en encourageant les activités industrielles à rendement croissant et en incitant l'aristocratie foncière à investir dans l'industrie. Sa politique fiscale favorisait délibérément les bonnes activités à rendement croissant et décourageait les rentes, notamment la rente foncière. De Gaulle était un dévoreur de livres, quatre à cinq par semaine selon ses mémoires, surtout d'histoire, mais on lui connaît peu de livres d'histoire économique. Son livre de chevet était Mémoires d'outre-tombe de François-René de Chateaubriand. Culturellement, de Gaulle a été le dernier homme d'État du XIXE siècle. Comme le légitimiste Chateaubriand, alors qu'il était profondément républicain, il se sentait héritier d'une tradition dont il entendait garder la valeur tout en acceptant la modernité apportée par la Révolution française, et désormais, la révolution industrielle. Il était fasciné par le progrès technique, y voyait à la...