Les Lumières ont-elles libéré l'Homme ? L'homme-enfant, la dernière utopie politique des gouvernants
« Nous refusons l’idéologie libérale parce qu’elle est incapable de fournir un sens, une voie à la réconciliation de l’individu avec son semblable dans une communauté qu’on pourrait qualifier d’humaine », écrit Michel Houellebecq en 1996 dans son poème Dernier Rempart contre le libéralisme. Comment une si belle idée, la liberté, a-t-elle fini par se corrompre ? Quel asservissement peut-elle produire si elle est placée en de mauvaises mains ? Le philosophe Robert Redeker (à ne pas confondre avec le personnage Robert Rediger, universitaire qui se convertit à l’islam dans Soumission), a son idée.
L’alliance, à partir du XIXe siècle, des Lumières avec le capitalisme a produit un résultat politico-anthropologique que les premiers forgerons de ce courant intellectuel, dont les deux plus grands, Jean-Jacques Rousseau puis Emmanuel Kant, eussent rejeté avec dégoût s’ils y avaient assisté. De ce contrat diabolique jaillit non la liberté, non l’émancipation, comme promis, mais une forme inédite d’asservissement. Cette fusion a créé un nouveau type d’homme dont la lucidité de Tocqueville sut décrire l’embryon. Écoutons son constat, et sa conclusion : cet homme « tourne sans repos » sur lui-même, « pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs » ; le pouvoir cherche à le « fixer irrévocablement dans l’enfance » ; situation qui rend « moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ». Non, vous ne rêvez pas : ces expressions n’ont pas été écrites ce matin même pour peindre le pouvoir marconien, entre incitation à porter un col roulé ou une interdiction de boire son café debout dans un bar, accoudé au comptoir, pour cause de guerre sanitaire, elles ont été formulées dans les années 1840 par un penseur visionnaire. Tocqueville discerne au sein de la démocratie, régime qui réalise politiquement les idées des Lumières, un mouvement de rétrécissement de l’homme. Quelque chose lui échappe cependant. Ce ne sont ni la démocratie en soi ni les concepts des Lumières qui produisent ce rétrécissement, mais leur soumission au capitalisme. Ce dernier change tous les hommes en producteurs et consommateurs, limite leur horizon à l’espérance de consommer toujours plus. L’injection du capitalisme dans le sang de la démocratie, c’est-à-dire les idées des Lumières, nanise les hommes.
La politique n’est plus un spectacle comme l’entendait Guy Debord. Car, de l’autre côté de la scène, il n’y a plus de spectateur. Le spectateur est une espèce à peu près disparue. Autre chose se substitue à lui : le consommateur...