Les ratés de l’ascenseur social : simple panne ou vice de conception ?
La France n’a jamais produit autant de diplômés du supérieur, et jamais nos universités n'ont accueilli autant d’étudiants issus des couches populaires. Doit-on en conclure que nous sommes en train de réaliser le rêve des Lumières, celui d’un monde où le mérite aurait remplacé la naissance ? Pour Philippe d’Iribarne, rien n’est moins sûr.
Égalité des chances : permettre que, quel que soit son milieu d’origine, celui qui entre dans la vie ait autant de possibilités d’accéder à la richesse, à la notoriété, au pouvoir, que ceux qui sont au départ les mieux lotis grâce à leur héritage familial. En France, cette possibilité est présentée comme une mission fondamentale de la République. Sauf que le fonctionnement de l’école, avec les privilèges qu’elle accorde aux nantis, aux beaux quartiers, l’existence d’établissements d’exception, collèges, lycées, grandes écoles, réservés en pratique aux happy few, est largement vu comme l’obstacle principal à cette égalité. Pourtant, en d’autres temps, l’école paraissait être la pièce essentielle de l’ascenseur social, on célébrait les réussites exemplaires d’enfants de milieux modestes qu’elle avait conduits au sommet de la société. C’est que le rôle qu’on veut lui faire jouer a profondément changé et que l’on en attend maintenant des effets qu’elle ne peut pas fournir.
I - D’un passé glorieux à un changement radical d’objectif
Le rôle attribué à l’école comme outil majeur de promotion sociale est intimement lié à la vision de la société qui a pris corps au sein de la France post-révolutionnaire et a largement prévalu jusqu’à la moitié du XXe siècle. En 1944, le programme du Conseil national de la Résistance comportait, parmi les réformes jugées indispensables « la possibilité effective, pour les enfants français, de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires1 ». La vision sous-jacente est celle de la Déclaration des droits de l’homme et...