L’université soumise au "new public management"
Alors que la grande réforme du monde universitaire adoptée en 2008 sous la pression de l’Union européenne devait garantir l’autonomie des établissements, on a au contraire assisté à une véritable mise au pas de l’enseignement supérieur. La dictature managériale sévit désormais chez nos chercheurs, soumis à une bureaucratisation tragique des esprits imposée par les cadres de l’État profond. Jamais la pression administrative n’a été aussi grande : dans cette nouvelle culture du chiffre et de l’évaluation permanente, ce sont les conseils et les commissions qui règnent sur la vie universitaire, obligeant les enseignants à bêler avec les moutons.
Ils en rêvaient, ils l’ont fait. En adoptant en 2008 sous la présidence Sarkozy la loi dite LRU (Libertés et responsabilités des universités), confirmée en 2013 par la loi ESR (Enseignement supérieur et recherche) sous la présidence Hollande, gouvernements de droite puis de gauche ont réussi ce qui jusque-là s’était révélé impossible : mettre sous contrôle une institution qui repose avant tout sur le principe de liberté. Sans liberté en effet, point de savoir, point de découvertes et, au fond, point d’intelligence.
Les élites françaises ont toujours cherché, depuis la Révolution à domestiquer une institution qui leur échappait. Mais récemment encore, des divergences demeuraient. La droite, ébranlée par le traumatisme de 1968, ne voyait dans l’université qu’une force résolument hostile, comme le confirmera l’échec de « sa » loi Devaquet, en 1987. La gauche s’employait à inscrire ses « affinités électives » avec les « intellectuels » dans un cadre d’autonomie complexe, centralement contrôlée, à travers la loi Savary de 1984.
Mais aucun gouvernement ne se sentait jusque-là suffisamment fort pour imposer à l’université la conception dirigiste qui prévaut désormais. Pour cela, il aura fallu une convergence technocratique au sommet de l’État, forçant l’alignement de l’université sur les règles plus globales qui depuis un quart de siècle formatent les politiques publiques : rationalisation budgétaire dans un cadre européen. Le dispositif de Bologne officialise un nouveau découpage des cursus (LMD) en rupture avec des rythmes d’étude qui avaient pourtant fait leurs preuves. Il bouleverse l’organisation des diplômes et l’offre d’enseignement. Il se paye aussi d’un prix exorbitant en terme de temps consacré et finalement perdu, pour une réforme qui aurait pu être évitée sans aucunement nuire à la fluidité des échanges académiques à l’échelle européenne. Il ne résorbe pas les doutes qui affectent la valeur des titres délivrés par une université qui accueille un nombre sans cesse croissant d’étudiants....