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Migrer dans la pluralité des mondes

L'édito de Michel Onfray.

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Vivre dans une époque où une civilisation s’effondre pendant qu’une autre se prépare est intellectuellement excitant. C’est ce que vit Augustin d’Hippone quand il ignore que la civilisation qui succédera au monde païen en chute libre le transformera en saint parce qu’elle fera de la Cité de Dieu son texte fondateur pour plus de 1000 ans.

Au siècle de la Contre-Réforme, une peinture de Monsù Desiderio montre l’évêque mitré, méditant seul sur la plage d’une ville en ruines. On imagine une mégapole après un tremblement de terre, un tsunami, une guerre qui l’aurait vandalisée, c’est plastiquement le cas. Mais, ontologiquement, cette cité détruite propose une allégorie de la mort de la civilisation gréco-romaine. C’est la Rome de Caton l’Ancien détruite comme le fut la Carthage d’Hannibal.

Il y eut Périclès et Platon, Alexandre et Aristote, César et Cicéron, Néron et Sénèque, mais, sur cette plage désolée, tout cela n’est plus. Ce qui advient c’est, justement, Augustin et Constantin, Tertullien et Justinien, dont les grandes ombres s’allongent sur la plage. Il y avait Zeus et Jupiter parmi quantité de dieux, il y aura désormais un seul Dieu au détriment de tous les autres. Il y avait des temples et des sanctuaires, il faut maintenant compter avec des églises et des basiliques. Il y avait La République de Platon et les Lettres à Lucilius de Sénèque, il y a les quatre Évangiles et les Épîtres de Paul.

Quand il écrit ses magnifiques Sermons sur la chute de Rome, Augustin ne sait pas encore que cette décadence sera suivie d’une renaissance et qu’il sera le philosophe de cette régénération civilisationnelle. Les Confessions racontent la conversion du païen ; la Cité de Dieu le mode d’emploi du Nouveau Monde. Jésus n’avait rien dit contre le corps, la chair ou les femmes, Augustin vociférera...