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Misère et pauvreté : l’évidence d’un scandale

Henri Pena-Ruiz rend hommage à Jean-Jacques Rousseau, Victor Hugo et Karl Marx, les trois hommes qui ont sans doute le plus alerté les esprits de leur temps sur la question sociale, et dont les écrits, parfois méconnus, restent indispensables pour qui veut lutter aujourd’hui contre les inégalités.

/2022/09/5_Misere


Une question plus actuelle que jamais

Opulence et richesse d’un côté, misère et pauvreté de l’autre. Au-delà des rêves pluriséculaires de réduction des inégalités, une telle opposition a la vie dure. Dans une économie de rareté, elle s’assortissait de justifications idéologiques plus ou moins élaborées, allant de la volonté divine à la hiérarchie native des êtres humains ou à l’ordre spontané de la nature. Dans une économie d’abondance, le sort réservé aux plus démunis se heurte à un paradoxe trop vite passé sous silence par les mieux lotis. Comment comprendre que misère et pauvreté subsistent, alors que l’humanité dispose désormais des moyens de procurer à tous la possibilité d’un accomplissement humain authentique ? La question n’est pas seulement économique, mais aussi socio-économique et même anthropologique. Les rapports de production sont d’emblée des rapports sociaux, et l’inégale distribution des richesses produites ne conditionne pas seulement le niveau de vie, mais aussi le niveau d’accomplissement des êtres humains. La pauvreté matérielle peut dégénérer en misère sociale et en déchéance humaine. Il en va de même des conditions de travail, qui ne tuent plus directement comme au XIXe siècle, mais indirectement, par exemple en poussant au suicide, comme à France Télécom il y a quelques années.

Témoins des ravages humains de la première révolution industrielle, Victor Hugo et Karl Marx avaient fait remarquer que la misère n’altère pas seulement la survie, mais aussi et surtout la réalisation des potentialités humaines. Gardons-nous donc de réduire pauvreté et misère à leur sens étroitement économique. Quelle idée nous faisons-nous de l’humanité si des fables dites libérales, comme La Fable des abeilles de Bernard Mandeville et celle de la main invisible d’Adam Smith, aujourd’hui relayées par la thématique ridicule du ruissellement, nous font nous accommoder du monde comme il va ou plutôt, comme il ne va pas ? Et...