Netflix, la nouvelle vitrine culturelle de l’État profond
L’idéologie dominante était surtout imposée jusqu’à présent par les organes de la grande presse et les cercles d’influence. Aujourd’hui, elle s’affiche sur des supports culturels nouveaux, avec une force de propagande aussi subreptice qu’efficace. Netflix incarne parfaitement cette mutation : le service de streaming est peut-être devenu le principal instrument de formatage politique à travers le monde.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France est moralement et financièrement endettée vis-à-vis de son allié américain. En contrepartie de l’effacement d’un prêt-bail d’un montant de deux milliards de dollars et de diverses aides à la reconstruction, Léon Blum concède, entre autres contreparties de négociation, la levée de plusieurs contraintes douanières, dont celle relative au régime restrictif de contingentement portant sur les films américains, instaurée en 1936¹, peu de temps avant le Front populaire. Les accords Blum-Byrnes (du nom du secrétaire d’État américain en charge des tractations) ont à cette occasion ouvert une brèche dans la stratégie culturelle protectionniste qui prévalait alors en France, entraînant une diminution notable de la part de diffusion cinématographique dévolue à la production nationale, au profit de celle importée depuis les studios hollywoodiens.
DE LA PROPAGANDE AU SOFT POWER
Au-delà de considérations économiques évidentes, les États-Unis ont très tôt saisi l’importance stratégique de promouvoir, hors de leurs frontières, non seulement leur mode de vie mais aussi leur vision du monde. Pour son potentiel de suggestion, le film s’est imposé en tant que support de choix à cet égard. « Trouverait-on à travers le monde le rêve de l’Amérique sans le cinéma  ? », s’interrogeait le cinéaste allemand Wim Wenders. « Aucun autre pays dans le monde ne s’est ainsi tant vendu, et n’a répandu ses images, l’image qu’il a de soi, avec une telle force, dans tous les pays », observait-il encore avec une lucidité froide. L’histoire du façonnement de cette influence relève d’une progression ternaire  : si la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide ont été marquées par la prédominance d’une propagande culturelle d’« opposition » (face aux valeurs défendues par le bloc communiste), s’est installé ensuite à la faveur de la fin du bipolarisme un régime d’influence essentiellement basé sur la « séduction » (soft power)...