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Notaires

Hugues LEMAIRE

19/10/2021

Par Hugues Lemaire.

Notaires


En août  2014, n’ayant pas apprécié qu’Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Économie, veuille lui faire goûter la cuvée du redressement productif, le Président François Hollande décida de remplacer l’effronté par celui qui n’était qu’un inconnu pour le grand public, mais qui avait déjà une expérience des administrations publiques : Emmanuel Macron.

L’ex-secrétaire général adjoint de l’Élysée siégea durant deux ans à Bercy (2014-2016) et y fit quelques réformes substantielles. Parmi elles, il en est une, celle de la profession notariale, qui mérite que l’on s’y attarde tout particulièrement. Non seulement parce que malgré son importance, cette réforme a été peu commentée en son temps (si on la compare avec tout le bruit médiatique produit pour les « cars Macron »), mais encore et surtout parce qu’elle annonçait clairement la vision de la société, à mi-chemin entre mercantilisme, nombrilisme parisien et haine des corps intermédiaires, qui sera celle de l’ambitieux énarque une fois parvenu à la magistrature suprême.

Loi croissance

À Bercy, le nouveau ministre de l’Économie fut donc chargé de la mise en place de la loi croissance, qui comprenait notamment un volet relatif à la réforme de la profession notariale, fortement inspirée des recommandations émises par la Commission européenne concernant le programme national de réforme de la France pour 2014, ces directives étant elles-mêmes dans le droit fil des conclusions du rapport Attali de 2008, auquel avait participé Emmanuel Macron en tant que rapporteur adjoint, alors qu’il était inspecteur des Finances.

Pour mémoire, si ce rapport ne manquait pas d’ambition (puisqu’on peut y lire : « À ne pas suffisamment accepter la mondialisation, la France ne profite pas autant qu’elle le pourrait de la forte croissance mondiale actuelle et future »), il manquait en revanche de la plus élémentaire des clairvoyances puisque sa publication eut lieu alors même que se profilait la crise économique mondiale de 2008, elle-même entraînée par le scandale des subprimes de 2006-2007, inconcevable en France, notamment parce que le marché immobilier est dans notre pays encadré par une profession réglementée : les notaires.

Ceci étant, le notariat devait être réformé, à la fois pour augmenter le nombre de notaires, le rajeunir et le féminiser, même si sur ces deux derniers points, les données de l’époque montraient une évolution certaine. Restait principalement à accroître le nombre de notaires et d’offices, ceux-ci étant limités de façon drastique. Toute nouvelle création d’un office notarial était alors décidée par la CLON (Commission pour la localisation des offices notariaux), dans laquelle siégeaient des membres de la profession et des représentants du ministère de la Justice. Cette amélioration dépendait donc de la CLON et surtout, que les instances de la profession se dotent de nouveaux pouvoirs les autorisant à ouvrir des offices sur les territoires où ceux en présence dépassent un certain nombre d’actes et un certain chiffre d’affaires.

Ce ne fut cependant pas la voie suivie par notre jeune ministre de l’Économie, qui jugeait probablement cette façon de procéder inopportune, car elle ne lui permettrait pas d’inscrire son empreinte dans cette loi qui devait bientôt porter son nom, lui qui prônait la disruption en mode de gouvernance et la dérégulation en dogme, sans se préoccuper à aucun moment des spécificités des professions concernées, ni de la façon dont elles se sont construites et ont évolué au fil du temps. L’une des particularités de la profession notariale est que ses membres sont délégataires de la puissance publique, celle-là même que, entre autres, les élus de la République reçoivent du peuple français, qui est seul souverain.

Puissance publique

Et c’est bien là qu’est le problème. Notre Président, garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire, mais aussi gardien de la Constitution, responsable du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de la continuité de l’État, ignore tout de ce qu’est cette puissance publique, qui est le fondement de notre droit et de notre République, donc de notre société.

Emmanuel Macron établit alors un semblant de dialogue avec les représentants du notariat, se bornant à écouter sans entendre, à faire croire à l’horizontalité pour appliquer une verticalité sans faille, à vouloir séduire en plantant ses yeux dans ceux de ses interlocuteurs – le fameux droit dans les yeux qui, à force d’être employé à mauvais escient, perd toute crédibilité dans la bouche de celui qui l’emploie, comme la cruche casse à force de trop aller à l’eau. La réaction de la profession, hostile à la réforme, fut à l’époque perçue par les gens comme une attitude corporatiste, alors qu’il s’agissait en fait de la défense d’une certaine conception de la République, à la fois humaine et de service public.

Mais le jeune ministre n’avait pas oublié l’enseignement reçu alors qu’il était rapporteur de la commission Attali, ni les recommandations faites par la Commission européenne à la France : les professions réglementées sont un frein au progrès.

Cette prise de position hâtive, car elle ne prend pas en considération la question du fondement de cette réglementation, ne visait en réalité qu’à déréglementer le marché, conformément aux règles applicables dans les pays anglo-saxons.

Il ignorait qu’il y a des professions réglementées car elles participent à l’exécution de fonctions régaliennes de l’État (l’acte authentique, nom technique du contrat qui est signé devant notaire, a la même force qu’un jugement), sont délégataires d’une parcelle de puissance publique et comme telles, doivent être contrôlées. Le jeune rapporteur n’a pas non plus voulu tenir compte d’une réalité, celle de l’efficience du système romano-germanique dont sont issus les notariats européens – professions réglementées – par rapport au système anglo-saxon ne connaissant pas de telles réglementations : les statistiques sont implacables, le système romano-germanique est juridiquement beaucoup plus fiable que l’anglo-saxon. Juste avant la réforme Macron, le ministère de la Justice estimait en effet que le taux de contestation des conventions était en France de 1 pour 1070, contre 1 pour 3 dans les pays anglo-saxons.

Mais au royaume des dogmes, il n’est pas judicieux de s’attacher aux réalités, surtout lorsqu’elles s’opposent à ce qui semble bon à la pensée dominante.

Le jeune ministre suivit la feuille de route mise en place par la Commission européenne, sans se soucier du caractère particulier de la profession qu’il réformait, de son mode de fonctionnement et de la façon dont elle s’était construite. Il décida par exemple de supprimer le contrôle de la profession sur ses nouveaux membres, ignorant que celui-ci était la contrepartie de la garantie collective instaurée par la loi du 25 janvier 1934.

Les débats parlementaires de l’époque nous confirment que cette garantie collective a été jugée possible au regard du fait que la profession exerçait une forme de contrôle de ses nouveaux membres.

Il confia à l’Autorité de la concurrence (ADLC) le soin d’établir une carte des créations d’office, les critères retenus étant dignes de ceux imposés pour l’implantation des grandes surfaces. Il réforma le tarif avec l’objectif affiché de faire baisser les revenus de cette profession, ce qui en soi ne serait pas critiquable si cette pratique ne conduisait pas à pénaliser encore plus les études petites ou moyennes. Il fit entrer le tarif des notaires dans le code de commerce, comme si la puissance publique n’était qu’un produit de consommation courante comme un autre. Il instaura un système de tirage au sort pour déterminer l’ordre de choix des créateurs d’office, déléguant à Tyché plutôt qu’à Ponos le soin de choisir les heureux élus, niant la méritocratie, comme si ce terme était une insulte au bon sens.

Le résultat ne fut pas à la hauteur des espoirs mis dans cette réforme : beaucoup de jeunes diplômés ont renoncé à s’installer, conscients des efforts de tout ordre que cela implique ; des notaires déjà en place ont profité d’une réforme de la réforme pour postuler aux créations, vidant cette dernière d’une partie de son intérêt ; des notaires atteints dans leurs convictions par les amalgames présentés pour justifier la réforme et les symboles que représentaient l’entrée du tarif dans le Code de commerce et la tutelle exercée par l’ADLC sur le notariat quittèrent la profession ; enfin, les notaires en exercice suivent dorénavant l’objectif qui leur a été assigné et ne quittent plus des yeux leur tableau de bord, privilégiant les dossiers rentables au préjudice de ceux peu rémunérateurs, ce qui n’était pas concevable avant. Cela était prévisible, mais n’avait pas été envisagé par notre jeune ministre de l’époque, qui vit, semble-t-il, dans un monde parallèle où les décisions prises doivent obligatoirement aboutir au résultat escompté, indépendamment de toute logique cartésienne.

Par cette réforme, Emmanuel Macron a prouvé trois choses.

D’une part, qu’il n’a aucune notion de ce qu’est la puissance publique, fondement de notre République. Bien au contraire, il la bafoue dès qu’il le peut, vidant l’État de sa force vive et de son fondement. Il n’est ainsi pas étonnant de voir la déliquescence actuelle de notre société.

D’autre part, qu’il n’hésite pas à vouloir appliquer des règles purement commerciales à des fonctions régaliennes de l’État, ce qui est la négation même de la souveraineté nationale dont il est le délégataire.

Enfin, qu’il érige la dérégulation en panacée aux maux de notre société sans faire aucune distinction entre ce qui peut être dérégulé et ce qui ne peut pas l’être, entre ce qui relève de l’humain et ce qui relève de l’économique.

Lui qui se rêvait en Jupiter se réveille en Arès.

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