Penser l’ennemi avec Julien Freund
« S’il y a des révolutions politiques, il n’y a pas de révolution dans le politique. » Tout Freund est là. L’homme se disait « français, gaulliste, européen et régionaliste », se qualifiant aussi parfois, non sans ironie, de « réactionnaire de gauche ». Il fut en fait, aussi et surtout, un théoricien et un pédagogue du réalisme politique et un critique des fausses évidences du pacifisme.
Décrit aujourd’hui par Pierre-André Taguieff comme « l’un des rares penseurs du politique que la France a vu naître au XXe siècle », Julien Freund est né le 9 janvier 1921 dans le village mosellan de Henridorff, d’une mère paysanne et d’un père ouvrier socialiste. Son père étant mort très tôt, il devient instituteur à l’âge de dix-sept ans. Deux ans plus tard, en juillet 1940, il est pris en otage par les Allemands, mais parvient à passer en zone libre et à se réfugier à Clermont-Ferrand, où s’est repliée l’université de Strasbourg. Résistant de la première heure, il milite dès janvier 1941 dans le mouvement Libération, fondé par son professeur de philosophie, Jean Cavaillès, puis dans les Groupes Francs de Combat, animés par Jacques Renouvin et Henri Frenay, tout en achevant une licence de philosophie. Arrêté, emprisonné successivement à Clermont-Ferrand, Lyon et Sisteron, il s’évade en 1944 et rejoint dans la Drôme les maquis FTP. Après la guerre, ayant postulé à un poste de professeur de philosophie, Freund enseigne successivement à Sarrebourg, Metz et Strasbourg. En 1960, il devient maître de recherches au CNRS. Cinq ans plus tard, il est élu professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, où il créera plusieurs institutions, dont un Laboratoire de sociologie régionale et un Institut de polémologie. Après avoir obtenu, en 1949, son agrégation de philosophie, Freund a commencé à travailler sur sa thèse de doctorat, intitulée L’Essence du politique. Son directeur de thèse sera Raymond Aron, le philosophe Jean Hyppolite ayant préféré se récuser au motif qu’en tant qu’homme des Lumières acquis à l’idée de progrès, il ne pouvait patronner un travail dont l’auteur affirmait qu’« il n’y a de politique que là où il y a un ennemi » ! Le 26 juin 1965, âgé de quarante-quatre ans, Freund soutient sa thèse à la Sorbonne,...