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Pour une alternative au catastrophisme

Dans son dernier essai (Les Sept Écologies, éd. de L’Observatoire), Luc Ferry dresse une cartographie des grandes tendances actuelles de la pensée écologique. Un ouvrage « boussole », pour reprendre une métaphore kantienne familière à l’auteur, qui nous alerte contre « l’écologie punitive » et prend parti pour le courant écomoderniste.

/2021/06/ferry

F.P. :
Pourquoi rouvrir le dossier de l’écologie trente ans après Le Nouvel Ordre écologique consacré au même sujet en 1992 ? La situation a-t-elle tant changé ?

LUC FERRY :
Oui bien sûr, la situation a beaucoup changé. Lorsque j’ai introduit en 1992 les catégories fondamentales de l’écologie politique qui à l’époque nous venaient d’Allemagne, c’était clairement l’opposition de deux grands courants, celui des Fundi et celui des Realo, qui dominait le paysage. Sous un autre vocable, on retrouvait en Amérique du Nord la même scission entre les Deep Ecologists (écologistes « profonds », équivalents des Fundi allemands) et des Shallow Ecologists (écologistes « de surface », analogues des Realo). En 1992, c’était la première fois en France qu’on évoquait ces deux courants opposés de l’écologie politique : les Fundi se voulaient révolutionnaires et les Realo plutôt réformistes. J’avais passé plusieurs mois au Canada, aux États-Unis et en Allemagne pour réunir et traduire les textes essentiels afin de les faire connaître au public français qui n’en avait encore jamais entendu parler. J’avais notamment lu Bill Devall, un philosophe américain qui fut l’un des premiers et principaux théoriciens de l’écologie profonde. Comme il l’écrivait dans un article que je retraduis ici : « Il y a deux grands courants écologistes dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le premier est réformiste, il essaie de contrôler les pollutions de l’eau ou de l’air les plus criantes, d’infléchir les pratiques agricoles les plus aberrantes dans les nations industrialisées, de préserver quelques-unes des zones sauvages qui subsistent encore, en en faisant des zones classées. L’autre courant défend lui aussi de nombreux objectifs en commun avec les réformistes, mais il est révolutionnaire. Il vise une métaphysique, une épistémologie et une cosmologie nouvelles, ainsi qu’une nouvelle éthique environnementale du rapport personne-planète. L’écologie profonde, à la différence de l’environnementalisme de type réformiste, n’est pas simplement un mouvement...