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Regarder l'époque tomber

Même si les histoires qu’ils racontent n’ont aucun lien apparent, Soumission et Sérotonine, les deux romans publiés par Michel Houellebecq avant Anéantir, forment un diptyque, estime Frank Lanot, le spécialiste littérature de Front Populaire, pour qui le romancier s’inscrit dans la lignée de Balzac, Baudelaire et Bernanos dans sa manière de raconter son époque.

/2022/11/12_Lanot


En habitués des lendemains de fête, Houellebecq a fait paraître deux romans qui ont pour premier point commun de ne comporter qu’un mot, un substantif, commençant tous deux par la lettre S. Soumission sort le 7 janvier 2015, et Sérotonine le 4 janvier 2019, aux éditions Flammarion. Les deux textes vont, pour citer un mot de l’époque, « vitrifier la rentrée littéraire », et concentrer la plus solide attention des critiques de tous bords. Ils seront à la fois loués et vilipendés, dans un concert d’hyperboles mémorable.

Dernier cousinage : on a prêté à Houellebecq un don de « visionnaire », car les deux livres ont trouvé, au cœur d’une immédiate actualité, des échos frappants : les attentats islamistes contre Charlie Hebdo (du 7 au 9 janvier) se sont produits au moment même où Soumission entrait en librairie ; les émeutes dites des Gilets jaunes ont commencé en France à la fin de l’année 2018, quand Sérotonine allait être mis en place chez les libraires. Or, Soumission montre une France qui place à la tête de l’État un Président d’origine maghrébine et appartenant à un parti musulman, et Sérotonine fait une large part au malaise du monde rural et à l’exaspération de ce que Christophe Guilluy a appelé « la France périphérique ». Prophète, Houellebecq ? Visionnaire ? Assurément non : il est poète, ce qui vaut cent fois mieux. Le poète est celui qui se souvient de l’avenir : Houellebecq n’a fait que mettre au net les contours flous et embrouillés du quotidien diffus, et a su les façonner avec maestria dans cette machine à inventer la réalité qu’est le roman.

Deux antihéros de notre temps

Soumission et Sérotonine sont deux romans que leur auteur a voulus d’une facture classique : deux personnages principaux animent le récit, deux mâles blancs cabossés dans le deuxième versant de leur existence, et ne péchant pas...