Regards sur la démocratie
La démocratie est, par définition, indéfinie autant qu’indéfinissable : elle ne s’enferme pas dans le cadre étroit et rassurant d’une grille car elle se doit d’être, comme le notait Clemenceau, « une création continue ». Le mur est tombé, le rideau de fer, démonté, mais les démocratures prospèrent, les tyrannies perdurent et nous sommes guettés par la « mélancolie démocratique », cette acédie délétère. Tocqueville, déjà, prévenait contre la tentation de l’amollissement, de la démission, au point de devenir, si l’on n’y prend garde, « un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ».
Condorcet & Constant : l’horizon démocratique
Nicolas de Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain en poche, éd. Flammarion, coll. GF
Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes en poche, éd. Mille et une nuits
Retrouvé mort dans son cachot au lendemain de son arrestation sous la Terreur, Condorcet nous a laissé un précieux « prospectus » posthume, qui, cruel paradoxe, est l’un des livres les plus optimistes parus dans une période noire. Face à la barbarie sévissant autour de lui, celui qui a voté contre la mort de Louis XVI y propose un idéal politique en tous points lumineux. Il est important d’insister sur la dernière partie de ce Tableau : le livre X.
Après avoir esquissé les grandes étapes de l’aventure humaine, Condorcet se risque à un exercice de prospective : de quoi demain sera-t-il fait ? Avec une lucidité étonnante, il dessine ce que doivent être, selon lui, les couleurs de l’avenir. En Girondin démocrate et éclairé, il annonce que ces « progrès futurs » seront l’égalité entre les hommes et les femmes, la fin des inégalités entre les peuples et les nations, l’abolition de l’esclavage. Vision ? Nullement. Pour ce mathématicien, il est dans l’ordre des « probabilités » que l’esprit humain aille dans ce sens, « ne reconnaissant d’autre maître que la raison ». Angélisme ? Disons que les faits, hélas, n’ont pas encore complètement été à la mesure des perspectives ouvertes.
Benjamin Constant est, une génération après Condorcet, un des penseurs-acteurs majeurs de la démocratie. Relisons le discours qu’il a prononcé en 1819, un texte essentiel qui définit avec clarté deux formes de liberté et qui montre que les Modernes ont choisi une voie nouvelle. Puisqu’on ne saurait revenir en arrière, il faut prendre toute la mesure des conséquences de cette mutation. Pour les Anciens, le citoyen vit sans distinguer public et...