Sartre, père de la gauche woke ?
Et si c’était à Jean-Paul Sartre que nous devions la terrible idéologie indigéniste-décolonialiste qui fait tant de ravages aujourd’hui à gauche ? Telle est la thèse d’Anne-Sophie Nogaret, qui analyse le racialisme forcené de l’auteur des Mains sales comme une grossière tentative de se faire passer pour un héros contre toute évidence.
Dans son autobiographie, Les Mots (1), Jean-Paul Sartre évoque la relation qu’il avait, étant enfant, avec son grand-père, Charles Schweitzer, professeur d’allemand dans un grand lycée parisien. Chaque jour, le petit Jean-Paul, que l’on appelait Poulou, échangeait des répliques avec son aïeul de façon théâtrale, comme s’ils posaient pour une image d’Épinal dont ils auraient été les héros. Un exercice qui n’impliquait pas tant l’affection que sa monstration, et qui visait en sous-main une réassurance narcissique : « Il aimait en moi sa propre générosité », écrit le philosophe. Quels que soient les biais qui l’affectent nécessairement, l’analyse de Sartre n’en témoigne pas moins d’une certaine réalité fondatrice de son œuvre et de ses engagements, où la posture tient un rôle essentiel, induisant une relation particulière à soi et aux autres : toute présence, toute action étant destinée à la publicité, le sujet se met en scène, brandit son magistère de vertu, qui exalte par effet miroir sa propre image. La morale ainsi hystérisée n’est plus tant un principe de régulation psychique qu’une tentative de conforter l’ego par le biais d’une certaine présentation et représentation de soi.
L’art des postures
A-t-on jamais relevé le rôle de l’imagerie chez Sartre et Beauvoir ? Avec eux s’est substitué à la rigueur du concept l’éclat de la mythologie, au sens où Barthes l’entend, avec son décor germanopratin, ses libres amours multiples, son effervescence intellectuelle, son existence authentique sur fond de néant ontologique. La légende de leur « amour nécessaire », largement entretenue par Beauvoir, leurs combats politiques formalisés par des clichés (terme à prendre dans ses deux acceptions, comme en témoignent les fameuses photos de Sartre en canadienne vendant La Cause du peuple dans les rues de Paris) et des slogans au lance-pierres (« Un anticommuniste est un chien »), sans oublier l’authenticité dont ils se réclamaient, dont on sait aujourd’hui combien...