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« Se désintéresser de la guerre, c’est se préparer à subir les événements. »

Assistons-nous à la disparition de la figure du Stratège en Occident ? Très probable, selon l’historien militaire et stratégiste Benoist Bihan. Or, comme il le dit dans cet entretien, ce n’est pas parce qu’on ne s’intéresse plus à la guerre que la guerre ne s’intéresse plus à nous. L’orage d’acier russo-ukrainien nous le rappelle depuis plus d’un an.

/2023/06/31_desinteret


F.P. : Vous êtes historien, mais aussi « stratégiste », un statut peu connu du grand public. Que recouvre cette discipline ?

Benoist Bihan : Le terme de « stratégiste » est, étymologiquement, un synonyme ancien de « stratège ». Aujourd’hui, être stratégiste, c’est faire de l’art de la guerre son objet d’étude, quand le stratège serait celui qui en fait sa pratique. Le stratégiste pense la stratégie et en étudie la mise en œuvre, le stratège conçoit et met en œuvre des stratégies dans la pratique. Bien entendu, il peut arriver que les deux titres puissent s’appliquer à une même personne, par exemple dans le cas d’un chef militaire qui serait également un théoricien de la guerre.


F.P. : Le grand public suppose, notamment grâce à l’ouvrage L’Art de la guerre de Sun Tzu, que celle-ci peut être un « art », mais le rapport reste abstrait, voire paradoxal – un art qui fait des morts. Existe-t-il donc un art de la guerre ?

Benoist Bihan : Oui, il existe bien un art de la guerre. Le mot « art » doit s’entendre ici au sens d’activité pratique, mais soumise à théorisation. C’est bien le cas de la guerre, où il ne s’agit pas seulement d’user de violence brute, mais d’user de la force armée à des fins politiques. L’art de la guerre est donc un acte d’intelligence créative – même si ses instruments sont destructeurs – dont l’objet est de concevoir la meilleure manière d’obtenir les buts politiques que l’on poursuit en contraignant son adversaire à y souscrire. Pour cela, l’art de la guerre a pour instrument principal le combat. Toute la difficulté réside à livrer celui-ci dans les meilleures conditions, et surtout à se montrer capable de tirer profit de son résultat. Gagner une bataille n’est jamais suffisant...


F.P. : Dans Conduire la guerre (éd. Perrin) votre livre d’entretiens sur l’art opératif avec Jean...