Slogans
Dans la mémoire collective, mai 68 subsiste encore principalement par ses slogans. Ils renseignent sur les idées d’une société et l’atmosphère d’une époque en transition.
En ce temps déraisonnable, on avait mis les mots sur les murs. On criait sa colère sur les palissades de la cité, pour afficher en phrases lapidaires sa détestation du vieux monde. S’il y a une « pensée 68 », elle apparaît dans ces jaculations lyriques et ironiques, plaquées en aphorismes rageurs, à la croisée de la jouvence et de la violence. Les enfants de la bourgeoisie qui jettent leur gourme et des pavés ne manquaient ni d’humour ni de culture : bien sentis et bien balancés, rugueux ou naïfs, les slogans de mai ont de la gueule et du chien.
À la lecture de ces maximes, recueillies dans le petit livre Les Murs ont la parole, on est happé par leur soif de liberté : les apophtegmes de ce printemps festif dessinent, en creux, le portrait d’une société vieillissante et sclérosée, gangrenée de conformisme, aussi grise que vide. « Vivez sans temps mort, jouissez sans entraves » : l’impératif est injonction ardente à découvrir la vraie vie, qui est ailleurs, c’est-à-dire contre et par-delà le monde bourgeois. C’est à leurs parents qu’ils en veulent, et s’en prennent : « Vous finirez tous par crever du confort », formulant ainsi la précaution à prendre pour ne pas tomber dans un sinistre matérialisme béat. Le très célèbre « Sous les pavés, la plage » dit bien le désir d’une vie nouvelle, à réinventer avec d’autres mots, d’autres postures, de nouveaux paradigmes. Il faut libérer la sexualité, l’imagination, et c’est dans et par les mots que cela se produit : « Assez d’actes, des mots ». Les étudiants de mai révèlent que les mots sont les grands acteurs de nos existences, qu’ils ont une force créatrice incomparable : « Soyez réalistes, demandez l’impossible », ce mantra érige l’oxymore en commandement.
On convoque Rimbaud, on retrouve les accents du surréalisme, la politique est d’abord poétique, au sens de création. Notre société...