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Sous la liberté individuelle, la tyrannie technologique

Avec la modernité, c’est la volonté de l’homme qui a triomphé. Pour le meilleur souvent, mais le pire est-il possible ? C’est ce qu’explorent les récents travaux de Mark Hunyadi, au cœur du labyrinthe du posthumanisme.

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F.P. : Pour vous, la racine intellectuelle du transhumanisme est la sanctification de la volonté humaine (et son illimitation constitutive) issue de la révolution nominaliste au Moyen Âge. Pouvez-vous nous expliquer concrètement cette filiation ?

Mark Hunyadi : Oui, c’est effectivement là qu’est née la conception moderne de l’individu. Ce qui la caractérise, c’est l’idée de volonté, c’est-à-dire l’idée d’une volonté individuelle qui pose elle-même ses buts et utilise la raison pour les exécuter. C’est ainsi que ces deux piliers de la modernité que sont d’une part l’idée d’une volonté autonome et d’autre part le règne de la raison instrumentale sont co-originaires. Telle est l’origine de la conception moderne de l’individu. Ce fut là une révolution de très longue portée, mais qui ne fut évidemment pas perçue comme telle par les contemporains : il faudra des siècles pour en mesurer la signification. Cette intronisation de la volonté marque la déconnexion de l’homme avec l’ordre du monde : dans le monde antique, qui a grosso modo gouverné l’esprit occidental pendant près de 1800 ans, le but de l’être humain était d’imiter le monde, de s’y insérer façon pièce de puzzle. La raison était contemplative : elle devait observer l’ordre du monde, dégager son architecture profonde, l’admirer. Et cette architecture était immédiatement normative : elle était pour l’être humain le principe d’orientation de son action. Chez Platon, Aristote et les stoïciens, le cosmos incarnait un principe de raison qui pour l’homme avait valeur de modèle. Pour eux, dans notre organigramme mental, il n’y avait que deux facultés : la raison et les désirs. Point de volonté autonome là-dedans – pour les stoïciens, la volonté n’est pas un organe de liberté, mais de soumission à la raison du monde. La raison devait donc reconnaître la bonté de l’ordre du monde, et sa tâche était de faire désirer aux désirs ce qu’elle...