Télévision : le commerce narcotique des émotions de synthèse
De Zénon de Citium à Herbert Marcuse en passant par René Descartes et Baruch Spinoza, Robert Redecker nous donne ses clefs de lecture pour comprendre l’emprise toujours plus forte des écrans et pour résister à l’ersatz d’informations qui s’y déverse.
Sans doute à cause du développement de la télévision puis de ses avatars – ces écrans alimentés par les images d’internet – la matière première dans laquelle les nouveaux médias découpent leurs discours n’est plus exactement l’information, encore moins la réflexion, encore moins que moins la pensée, mais la seule émotion. L’exclusive émotion. L’information n’est plus que le prétexte à la fabrique de l’émotion. Pas l’émotion naturelle, spontanée, mais l’émotion usinée. L’émotion devient le résultat de l’information. N’est-ce pas, fort cyniquement, sur l’émotion qu’insistent ces médias lorsqu’ils s’adonnent à l’autopromotion ? Certes, comment ne pas être ému devant ces images de tremblements de terre, de maisons dévastées par un cyclone, d’enfants menacés par des soldats, d’autres mourant de faim, ou celles de ces migrants épuisés échoués sur une plage, voire noyés après le chavirage de leur embarcation, qui peuplent les écrans à longueur de journée ? Attention à la naïveté, à la bonté humaine trompée : ces images n’ont rien d’innocent. Ce sont des images chocs, missionnées pour commotionner leurs destinataires, destinées à court-circuiter tout raisonnement, forcément générateur de zapping, dégonfleur d’Audimat, des images propres à décérébrer, qui remplacent l’information et dont l’office est de congédier la possibilité de la pensée. Si quelque chose doit accompagner puis suivre ces images, estiment ces médias, ce ne peut être la pensée, ce doit être l’indignation. Soit : une autre émotion. Avec l’indignation, on ne sort pas de l’enfer de l’émotion. L’indignation aussi sera trompée. Ces médias vivent la raison comme une ennemie, capable de tuer le commerce qu’ils exercent.
Les médias dont il est question ici sont ceux de cet univers que Régis Debray (dans son Cours de médiologie générale, paru chez Gallimard en 1991) baptise « la vidéosphère », qu’il oppose à la « graphosphère », dont relève la presse écrite. Leurs noms ? La télévision, les ordinateurs, les tablettes,...