« Toute représentation politique est une fiction » : entretien sur la voix du peuple au Moyen âge avec Michel Hébert
Dans l’imaginaire commun, l’idée d’assemblée renvoie à l’antiquité (l’agora) et à la modernité (les parlements). En réalité, les assemblées représentatives fleurissent au Moyen Âge où se joue, dans toute son ambiguïté politique, la question de la « voix du peuple ».
F.P. : À quoi correspondent concrètement ces assemblées médiévales et quelle est leur raison d’être ?
Michel Hébert : Il faut préciser au départ que la pratique des grandes assemblées n’est pas un phénomène exclusif au monde occidental chrétien et qu’elle est bien antérieure à la période médiévale. L’historien romain Tacite, parlant des peuples « barbares » des forêts de la Germanie antique, soulignait déjà l’importance des grandes assemblées au cours desquelles les chefs sollicitaient l’approbation de l’ensemble de leurs guerriers pour toutes les décisions d’importance. Cette page célèbre de Tacite a été reprise dans une formule tout à fait admirable de Montesquieu qui, au XVIIIe siècle, dans L’Esprit des lois, rappelle à ses lecteurs que le beau système parlementaire britannique, admiré de tous en son temps, trouve son origine « au fond des bois » ! À vrai dire, s’assembler pour élire des chefs, s’assembler pour dire le droit, s’assembler pour gérer les affaires communes est une pratique tout à fait habituelle dès les premiers siècles du Moyen Âge. L’exemple certainement le plus célèbre, bien qu’il ne soit pas du tout unique, est celui de l’Althing islandais qui se réunit solennellement sur la colline de Thingvellir depuis maintenant plus de mille ans.
Ce qui change, à mon avis, en Europe occidentale et à partir du début du XIIIe siècle, c’est l’émergence d’une progressive normalisation de ces pratiques, autour d’une idée qui alimente partout la réflexion politique, celle d’une contractualité du pouvoir. Dans un premier temps, disons jusque vers le milieu du XIVe siècle, des princes qui se trouvent fragilisés dans des situations exceptionnelles (révoltes de leurs vassaux, problèmes successoraux par exemple) offrent, en échange d’un soutien aussi large que possible, des chartes de privilèges ou de libertés dont la plus célèbre est, bien entendu, la grande charte anglaise de 1215, la Magna Carta. Mais elle n’est pas...