Un siècle de fabrique de l’opinion et de manipulation des masses
Il y a une centaine d’années, une poignée de journalistes et d’universitaires américains inventaient les principes de la propagande moderne. Depuis, ils n’ont cessé d’inspirer les régimes autoritaires, les agences de publicité et les community managers.
Il y a une centaine d’années, une poignée de journalistes et d’universitaires américains inventaient les principes de la propagande moderne. Depuis, ils n’ont cessé d’inspirer les régimes autoritaires, les agences de publicité et les community managers.
La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays », écrit Edward Bernays en 1928 dans son livre Propaganda. Ce neveu de Sigmund Freud est le plus célèbre représentant de cette génération d’hommes du début du XXe siècle qui ont fait profession d’influencer les conduites des masses et inventé un nouveau métier, dont l’intitulé prend des formes très variées – conseiller en relations publiques, publicitaire, consultant en communication, propagandiste – mais dont les meilleurs représentants méritent le titre de « maîtres de la manipulation ». Agissant tantôt dans l’ombre, tantôt en pleine lumière, ils font et défont des élections, bâtissent des succès commerciaux, mettent en fiction le réel, fabriquent le consentement ou le dissentiment.
Cet art de fabriquer à grande échelle des opinions et des comportements est né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, dans le contexte de l’essor du suffrage, de la presse et des syndicats. Les élites économiques se trouvaient en effet confrontées au défi nouveau d’une opinion publique dont les méthodes ancestrales – l’influence, la corruption de la presse – ne suffisaient plus à assurer la docilité, et dont le poids auprès des pouvoirs publics pouvait menacer les intérêts. Les « relations publiques » apparaissent ainsi dans le secteur ferroviaire, confronté à une nouvelle génération de journalistes professionnels aguerris, à une opinion hostile et à un Congrès enclin à adopter des mesures de régulation. En 1906, un ancien journaliste financier, Ivy Lee, décide de mettre son expérience...