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Vêtus de peaux de bêtes

L'édito de Michel Onfray.

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Le progrès semble nous conduire au regrès, un mot passé de mode dont Littré nous dit qu’il relève du vocabulaire juridique, plus particulièrement notarial, mais que pour ma part, je propose de réactiver pour caractériser le mouvement qui accompagne l’effondrement de notre civilisation : il nomme le progrès de la régression. 

Le vieux schéma du temps judéo-chrétien, la flèche, redressé par la philosophie des Lumières, une flèche ascendante vers la perfection, est à revoir. Notre trajet ne nous conduit pas de façon ascendante de la brutalité primitive à l’homme réalisé, mais d’une humanité pas si primitive que ça au pire de ce qu’elle fut : un genre de tribalisme cannibale.  

Une belle œuvre réaliste, pour ne pas dire kitsch, du peintre Fernand Cormon, un roi de la commande publique sous la IIIe République, régulièrement médaillé au salon, a pour nom Caïn fuyant avec sa famille (1880). Elle témoigne de l’idée qu’on se faisait des premiers temps de l’homme à cette époque. Cette toile de quatre mètres sur sept achetée par l’État permet à son auteur d’obtenir la Légion d’honneur. Le sujet renvoie aux premiers vers de La Légende des siècles de Victor Hugo, eux-mêmes inspirés par des versets de la Genèse : 

« Lorsqu’avec ses enfants
vêtus de peaux de bêtes,
Échevelé, livide
au milieu des tempêtes
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah
. »

À bien y regarder, au-delà de l’affaire Caïn & Abel, c’est nous que l’artiste raconte, nous, car nous sommes, aujourd’hui, métaphoriquement, vêtus de peaux de bêtes, échevelés, livides au milieu des tempêtes, enfuis de devant Jéhovah ! Cormon peint à l’époque où l’on vient de découvrir l’homme de Cro-Magnon et les peintures paléolithiques d’Altamira. Il renvoie donc à la Genèse, à Hugo, mais également aux hommes préhistoriques tels qu’on les fictionne en son temps. 

Or, cette œuvre en...