Vivre avec le terrorisme
L'islamisme frappe de plus en plus notre pays à travers des attaques improvisées commises à l’arme blanche et non revendiquées. Cet apparent amateurisme traduit-il un affaiblissement ou prouve-t-il au contraire la redoutable résilience du djihadisme ?
«La France va devoir vivre avec le terrorisme », a déclaré Manuel Valls après l’attentat de Nice en 2016. Que voulait-il dire exactement ? Qu’il fallait se résigner à être un pays où une idée peut faire tuer des petites filles juives, égorger des paroissiens, décapiter des profs ou fusiller des fans de rock ? S’habituer à la succession des lois (plus de vingt depuis 1986) dites antiterroristes ? Ou attendre, à chaque nouvelle attaque, que les médias annoncent si le parquet antiterroriste est saisi ou s’il faut parler de l’acte d’un schizophrène (fut-il récidiviste radicalisé en prison) ? Au moment où les sondages font du terrorisme une des préoccupations principales de nos concitoyens, une telle sentence pose l’atroce question de l’habitude du mal.
Il est, d’ailleurs, ambigu de parler de terrorisme tout court. Apparu en 1793 pour désigner la terreur d’État jacobine, le mot s’est popularisé dans notre langue au sens d’une violence d’en bas, antiétatique, dans les années 1920. Jusque-là, on parlait plutôt d’attentats anarchistes ou nihilistes. « Le » terrorisme en soi n’existe donc ni comme idéologie, ni comme système politique, ni comme parti ; c’est un moyen stratégique. Il peut être mobilisé par les systèmes les plus opposés. Sa pratique se situe entre « guerre du pauvre » (violence minoritaire sporadique de ceux qui ne peuvent mener un conflit armé permanent) et « propagande par le fait ». C’est, dans ce cas, l’impact symbolique d’un message, généralement : « Tremblez, ennemis » pour un camp, et « Rejoignez-nous contre vos oppresseurs » pour l’autre. Mais dans tous les cas, les actes terroristes se projettent dans une Histoire qu’ils sont censés réécrire.
Il est des pays (Israël, Liban…) où la population s’est familiarisée depuis longtemps avec l’éventualité de la bombe. Une routine ? La formule provocatrice se trouve dans une brochure russe de 1880, « la routine terroriste ». Gerasim Romanenko (alias Tarniovski) y théorise la...