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Les minorités en question

Ignorées, méprisées, brimées, censurées, telles étaient les minorités – et peu enviable était le sort qui leur était réservé – au temps honni où régnait en maîtresse, sûre d’elle et dominatrice, la Majorité majuscule. Cet horrible temps n’est plus : mieux, il s’est subtilement inversé et la majorité, faisant profil bas, est devenue accueillante à tout ce qui n’est pas elle. Sommes-nous gagnés par l’expansion, soudaine et inarrêtable, d’une nouvelle tendance, la « culture woke » ? Certains lui préfèrent le mot « idéologie », plus approprié. Et Jean-François Braunstein, dans un essai remarquablement documenté, qualifie la vague qui vient de « religion woke » (éd. Grasset). L’heure de l’éveil, c’est indubitable, a sonné. Et se font entendre, en écho, quelques notes discordantes auxquelles on peut trouver un intérêt certain.

/2023/03/lanot-25


Abel Quentin : la bonne âme au bûcher des sorcières


LE Voyant d’Étampes, Éd. de l’Observatoire, 2021 - Poche, éd. J’ai Lu, 2022

Connaissez-vous Jean Roscoff ? Le bonhomme porte le nom d’un port breton et le prénom de tout le monde. Il a passé la soixantaine et cultive le type ronchon avec assiduité. Il eut une jeunesse pleine de l’illusion lyrique qui faisait l’époque, militant pour SOS Racisme. Tel est, brossé à grands traits, le personnage attachant qu’Abel Quentin a choisi comme antihéros de son roman Le Voyant d’Étampes. Connaissez-vous Abel Quentin ? Il a commencé par habiter nominalement le roman de Blondin Un Singe en hiver, ce qui vous fixe un pedigree en forme de label. Abel Quentin est jeune, drôle, malicieusement brillant, et son livre est à son image.

Notre Jean Roscoff, pour remonter une pente biographique qu’il avait bien déclinante, entreprend d’écrire en livre : ce sera Le Voyant d’Étampes, contant la vie d’un poète américain noir, mort et inconnu. Belle entreprise, de celle qui vous attire l’admiration des intellectuel-le-s et les louanges des beaux esprits, ouverts à tous les progressismes. Faut-il le dire ? L’affaire tournera au fiasco, et l’apologétise des bons sentiments se verra condamné par ceux-là même à qui il pensait plaire. Sa faute ? Capitale. Son péché ? Mortel. Qui es-tu, Jean Roscoff, pour ainsi parler au nom et en place de cet écrivain noir mort dans l’anonymat ? Notre contre-héros, candide, attendait l’onction des bien-pensants, et il eut le marteau des sorcières. Pas plus qu’on ne peut jouer au football sur un terrain de rugby, on peut écrire, à l’heure de Sandrine Rousseau, comme on rêvait au temps de Harlem Désir. Malheureux Jean Roscoff, qui ne sait pas de qui et de quoi les racisés sont le nom, et qui n’a pas appris que les assignations identitaires sont un...