Bourdieu (Pierre)
Sociologue et figure éminente de la gauche intellectuelle, Bourdieu (1930-2002) a publié Les Héritiers en 1964. Comment ne pouvait-il pas soutenir ardemment mai 68 ? Et pourtant…
Un malentendu persistant (qui remonte au moins au livre de Luc Ferry et Alain Renaut) consiste à associer le sociologue Pierre Bourdieu à la « Pensée 68 ». En fait, comme pour Raymond Aron (voir « Raymond Aron ») dont on réduit l’analyse de mai 68 à quelques mots clés conservateurs, il s’agit d’une légende peu soucieuse à la fois des faits et des prises de position du sociologue. Il est pour le moins curieux, pour commencer, de faire du sociologue un héraut ou un porte-drapeau de la pensée 68 quand on commence par voir précisément quelle a été son attitude au moment des événements de mai 1968. Certes, Bourdieu, alors jeune sociologue de 38 ans qui avait publié des livres déjà importants, notamment sur le système scolaire (Les Héritiers, 1964, coécrit avec Jean-Claude Passeron), est déjà de gauche et a de la sympathie pour le mouvement : le 21 mai, il signe avec une centaine de chercheurs et d’intellectuels un appel à « l’organisation d’états généraux de l’enseignement et de la recherche » dans Le Monde. Et il produit, face à cette crise étudiante, un certain nombre de textes d’intervention sur la rationalisation de la pédagogie traditionnelle, la transformation démocratique de l’université ou encore la fonction d’élimination des classes populaires (dont il était issu) et de conservation sociale du système d’enseignement dans son ensemble. Néanmoins, il se montre aussi très sévère au sujet de l’immaturité du mouvement et des illusions de son radicalisme lyrique. Lorsqu’il est présent à l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne et que les étudiants hurlent « Les ouvriers à la Sorbonne ! », le sociologue prend la parole et leur dit publiquement qu’ils ne sont pas sérieux. Il ajoute : « Il n’y a rien de pire qu’une révolution ratée, après on en prend pour vingt ans de conservatisme ! » Le sociologue américain Craigh Calhoun écrit ainsi : « Pas...